Archives de catégorie : Publications

Yvon Givert – Un Billet pour l’Australie

Yvon Givert, né en 1926, est poète, nouvelliste et auteur dramatique. Il a publié chez Luce Wilquin deux romans, «Le Jardin des Cyclopes» (1996) et «La Serafina» (1997).

«Dix atmosphères, dix personnages. Chacun d’eux est cerné par un double, présent ou absent. Chacun transgresse sa propre destinée. Yvon Givert travaille avec force le thème du miroir. Côté pile, le quotidien et ses tenailles. Côté face, l’aventure singulière. Incisif, l’auteur franchit les frontières du réel, entre dans la marge d’un éclat de vie ou de mort.» [Françoise Lison, Le Courrier de l’Escaut]

Les premières lignes
Valérie se morfondait. Déjà trois semaines… Vingt jours que Paul était parti… Pas une lettre, un coup de fil… L’Australie, c’est loin, mais quand même… C’est elle qui avait lancé l’idée. Elle avait fait chanter le mot comme on récite une prière… L’Australie…Un jour, chez le coiffeur, elle avait saisi un prospectus. Et aussitôt, elle avait su. Son destin était là, en Australie. Elle s’était levée, les cheveux encore humides. Elle avait refusé le brushing. Elle avait couru. Elle devait en parler à Paul tout de suite. Elle lui avait débité, d’une traite : «L’Australie. Un pays immense. […]

Roger Foulon – L’autrucherie

Auteur de plus de 120 ouvrages, dont 14 romans, Roger Foulon est né à Thuin en 1923. Depuis 1956, il dirige et anime la revue littéraire et artistique Le Spantole. En 1999, il a été élu membre de l’Académie royale de langue et littérature française de Belgique. Déja parus chez le même éditeur: L’homme à la tête étoilée (roman, 1995, finaliste du Prix Rossel), Histoires de bêtes (nouvelles, 1997), Un enfant de la forêt (roman, 1998), Les feux du ciel (roman, 2000), L’ultime rendez-vous (roman, 2001) et L’étrange vie de saint Landelin (roman, 2003).

C’est au pays des lacs et des collines, en bordure de France, que Roger Foulon fait vivre les personnages peuplant son quatorzième roman. Petrus, le héros, venu du Nord comme ses amis Jef et Willem, est soudain largué par l’entreprise où il travaille. Réduit au chômage, il décide d’installer un parc animalier et une auberge de campagne dans une exploitation abandonnée qu’il rachète. Cette initiative connaît vite le succès, mais cela ne fait pas que des heureux. Petrus est bientôt en butte à diverses vexations orchestrées par des politiques et, surtout, par une certaine mafia voyant d’un mauvais œil cette implantation contrariant des desseins secrets.

Les premières lignes
C’est le printemps. Un soleil de roi. On devrait connaître une joie de fleurs et d’oiseaux, avec, partout, des femmes en robe claire, des gens de ferme menant leurs vaches au pré. Et, pourtant, l’air n’est que tristesse et colère. En ce début d’après-midi, l’usine s’est vidée, bien que les fours continuent de brasser la pâte à verre. Plus de trois cents travailleurs marchent vers la place. Ils manifestent leur mécontentement et leur désarroi. Ne prévoit-on pas le licenciement de beaucoup d’hommes ? Inadmissible ! La verrerie est quasi la dernière richesse de la région, sise à proximité de la frontière. Alors, on a décidé cette manifestation. Tout le monde est là.

Issa Aït Belize – Racines et épines (Le fils du péché I)

Né dans le Nord du Maroc en 1954 dans une famille berbère, Issa Aït Belize navigue, dès l’enfance, parmi plusieurs cultures. Après ses études secondaires en français, à Rabat, il poursuit en Belgique des études supérieures en économie. S’il porte à son pays natal une attention particulière, il se sent surtout citoyen du monde. Il est l’auteur de La chronique du pou vert et de Nounja, à la folie…, deux romans parus également chez Luce Wilquin.

Ce premier volet d’une trilogie mène Amarouche, petit Berbère pauvre dont la naissance est marquée du sceau de l’ignominie, vers l’âge adulte. Sa malchance : il est « orphelin » ; c’est ce qu’on dit d’un enfant sans père au Maroc, mais en outre, il est né de père inconnu: une tare dans ce pays. Sa chance : une mère volontaire et droite, puis l’attachant Sargento, vieux soldat retraité de l’armée de Franco. La première forcera pour lui la porte d’un fquih ronchon et un peu obtus répugnant à lui dispenser l’enseignement du Coran, et donc de l’alphabet et de la langue arabe. Le deuxième lui laissera un cadeau inestimable qu’il pourra transmettre à sa descendance – son nom.

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Les premières lignes
L’odeur douceâtre de levain dont ma mère commençait à ensemencer la pâte se répandit dans l’air d’une aube lointaine et chassa l’once de sommeil qui me saupoudrait encore. Le regard voilé, je distinguai la porte entrouverte de notre logis qui laissait passer une lumière laiteuse ; le soleil n’allait pas tarder à tout embraser de son safran encore caché. Je m’accoudai pour observer la silhouette de ma mère qui s’animait comme une ombre : à genoux et le buste en avant couvrant le large pétrin en terre cuite, elle enfonçait ses poings dans la masse blanchâtre qui gémissait de plus belle, laissant parfois échapper une plainte suivie d’un sucement, d’un claquement de langue. Entièrement absorbée par sa bataille du moment, elle ne remarqua pas mon éveil, sinon elle m’aurait déjà intimé l’ordre d’aller me laver.

Daniel Soil – Comme si seule une musique

Après des études universitaires à Bruxelles, Daniel Soil (1949) enseigne pendant une douzaine d’années, avant de devenir responsable d’associations de jeunesse. Dès 1988, il travaille à la promotion des créateurs belges francophones, dans divers pays, avant de travailler pour la politique de l’Enfance. Il est aujourd’hui Conseiller à la Délégation Wallonie-Bruxelles au Maroc. Son premier roman, Vent faste (2000) a obtenu le Prix Jean Muno 2001en Belgique. Il a aussi été lauréat en 2001 du Festival du Premier Roman à Chambéry.

Au moment même où l’Histoire sombrait dans sa période la plus noire, Vital, Gloire, Flore et Luca – quatuor passionné, amoureux et pétri de justes causes – vivaient une existence turbulente où périls et plaisirs s’entremêlaient, au son du Lambeth Walk. Felicity, la fille née de cette belle équipe, revient sur l’île du lac de Côme où tout s’est alors noué pour découvrir le mystère de ses origines. Une histoire rythmée par l’Orfeo de Monteverdi… Comme si seule une musique pouvait restituer la cruauté des amours, l’audace des hasards.

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Les premières lignes
L’île est là et je chavire comme une poivrote. La brume et le frêle soleil matinal semblent s’associer pour iriser le lac. Sur l’autre rive, une montagne impose sa sévérité de château-fort. Des torrents dévalent la pente, on dirait une bataille pour qui sera le premier à venir glacer les eaux du lac. Comacina échappe-t-elle parfois à cette sublime noirceur ? À fixer l’étendue sombre, à m’émouvoir de sa régularité, de sa netteté, mon regard finit par se perdre. Je reconnais cet éblouissement qui gagne chaque fois que je suis sur le point d’élucider une part de moi-même.

Michelle Fourez – Ana

Michelle Fourez est enseignante et vit non loin de Tournai, à quelques encâblures de Lille. Elle a participé à diverses expériences théâtrales et musicales, ainsi qu’à des créations collectives. Elle a déjà publié trois romans : «Les bons soirs de juin» (Alinéa, 1992), «Le chant aveugle» (1995) et «À contretemps» (2004) – ces deux derniers aux Éditions Luce Wilquin

Ana a quitté un mari, une villa, un commerce ambulant florissant – bref, une vie cossue, mais morne – sur un coup de tête, après avoir rencontré sur un marché un fonctionnaire retraité portant beau, Édouard. Mais la vie que celui-ci lui impose, dans une maison décrépite, est celle d’une servante corvéable à merci… Rattrapée par ces réalités à la limite du sordide, Ana commence par se résigner, avant de trouver au bout de quelques années la force de tout quitter à nouveau pour vivre dans le calme d’une solitude acceptée. Un texte sobre, épuré, comme Michelle Fourez sait les faire, sur les illusions perdues d’une femme plus très jeune…

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Les premières lignes
C’est en octobre 1995 que j’ai rencontré Ana pour la première fois. J’étais assise à la terrasse de notre jardin, tout en haut de la colline. Une terrasse en bois qui ressemble à une scène de théâtre villageoise. Je goûtais les derniers soleils, à la tombée du jour, et un écureuil devait m’avoir distraite : bien que je l’attendisse vraiment, je ne m’étais pas aperçue de la présence d’Ana dans le petit chemin qui monte chez nous, tout en haut de la colline boisée, là où s’arrête le village… L’écureuil avait disparu derrière un tronc et mes yeux étaient revenus au chemin.

Véronique Bergen – Aquarelles

Véronique Bergen est docteur en philosophie. Elle a publié un essai sur Jean Genet et une étude sur l’ontologie de Gilles Deleuze, ainsi que des recueils de poèmes. Son premier roman, Rhapsodies pour l’ange bleu (L. Wilquin, 2003), a reçu un accueil critique aussi économe que dithyrambique.

Tout s’ouvre sur la disparition brutale, énigmatique de la femme aimée. Une fuite inexpliquée à laquelle le protagoniste répond par une quête éperdue afin de retrouver la disparue. Identification à celle qui est partie, port de ses vêtements et de ses parfums pour la rejoindre de l’intérieur : le récit se présente comme un jeu de pistes où l’amour seul tient la barre. L’errance sentimentale réveille les pans de l’enfance, ses douleurs et débâcles aurorales. À la voix du protagoniste s’adjoignent la confidence épistolaire de la femme en fuite ainsi que la remontée de la voix du père, lequel fut broyé par le désert et ses mirages.

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Les premières lignes
Le train s’ébranla, glissant sur des barres parallèles qui s’étiraient vers l’extrême sud. Engoncé dans un paletot trop large, le jeune homme accrochait son esprit à ces rails qui, inséparables à jamais, se tendaient comme deux bras vers l’espoir. Il songea qu’il n’avait plus la force de dessiner ce geste, d’élancer ses bras ouverts vers l’ami, de décocher un appel qui, du sein de la détresse, exhibât la violence de son désir. Un désir fou comme l’embrasement du cœur d’un adolescent, comme une note suraiguë qui cherche à se délivrer d’elle-même, un désir fou éveillé par une femme qui se confondait avec la vie.

Françoise Houdart – La petite fille aux Walalas

Françoise Houdart tient de son grand-père maternel sa fidélité au Borinage de sa naissance (1948), et de son grand-père paternel l’irrépressible besoin de s’en évader. C’est sans doute de là qu’est né l’impérieux besoin d’écrire qui la lie quatre heures par jour à sa table d’écriture. Traductrice de formation, elle a enseigné l’allemand jusqu’au jour où elle a décidé de vivre, sinon de sa plume, du moins avec et par elle. Elle rencontre régulièrement ses lecteurs dans le cadre d’activités pédagogiques ou culturelles, collabore à diverses revues et écrit des nouvelles pour la radio.

Parce que la Petite entretient, sous la table de la cuisine, d’extravagantes conversations avec les êtres singuliers qui peuplent sa tête ; parce que des courants alternés de rires et de larmes lui soufflent sans répit d’irrépressibles (dé)raisons de faire des bêtises ; parce que ses parents rentrent tard de leur travail et qu’elle dort chez Grand-mère presque chaque nuit ; parce qu’il arrive qu’elle se relève pour nourrir le vieux pigeon borgne qui loge sur le seuil de la fenêtre ; parce que Grand-mère soupire de fatigue sous ce surplus d’amour qui lui est venu avec l’âge ; Grand-mère estime qu’il serait judicieux que la Petite apprenne le piano.

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Les premières lignes
– Il faut quand même que je vous prévienne… La vieille dame pousse la Petite devant elle sans lui lâcher la main, comme si le corps de l’enfant pouvait la protéger contre le reflux des paroles qu’elle va dire, ces mots qu’elle a préparés, répétés cette nuit encore, qu’elle a bien remués dans sa tête pendant cette longue nuit blanche, tandis que, dans sa chambre, sa petite-fille dormait d’un sommeil agité : – … c’est une enfant difficile, une enfant gentille, ça oui ! mais un peu curieuse, voyez-vous, un peu sotte parfois ; sa mère dit « sauvage »…

Luc Baba – Les écrivains n’existent pas

Luc Baba, né en 1970, est professeur d’anglais, animateur d’ateliers d’écriture, comédien et chanteur amateur, écrivain et dramaturge. Remarqué dès son premier roman «La cage aux cris» (Prix Pages d’Or 2001), il n’a cessé depuis lors de confirmer son talent en publiant, avec une régularité de métronome, un roman nouveau à chaque rentrée littéraire : «de la terre et du vent» en 2002, «L’eau claire de la lune» en 2003, et «Le marchand de parapluies» en 2004.

«Les écrivains n’existent pas», c’est un hiver d’auteur, une histoire de couple qui se détricote, une étrange image de la mort, et l’obsession d’écrire, une fuite née de tout cela, et la mer du Nord. La mer et sa frontière de sable entre la moitié du monde où tout est possible et la moitié inverse. La mer et ses cheveux gris, mélancolique, échouée à Ostende, et cette fille qui lui ressemble, cette passante aux yeux perdus. La suite est une histoire d’amour qui ne ferait pas exprès d’être une histoire d’amour. Une petite môme voisine croira y trouver un refuge, une seconde vie possible.

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Les premières lignes
Il pleuvait comme pour toute la planète, où je marchais face au vent. Un vieux voisin qui devait avoir bu son poids de trappiste clapotait en haut de la rue Chauve-Souris, une rue en escalier, avec des marches creuses et gorgées d’eau. Soudain, le vieux a manqué de mouiller ses chaussettes, et sa jambe a fourché, il a expiré d’un coup toute sa force en cherchant une rampe, et son corps a basculé, heurté violemment la pierre, en plein front. Je l’ai regardé rouler mollement, sans faire de bruit, jusqu’à mes pieds, et là, le temps s’est étiré d’un coup tel une corde. Il manquait un souffle dans l’air.

Benoît Labaye – Vous ne dites rien

Benoît Labaye (1951-2006) fut d’abord un adolescent secret dans l’univers austère et monosexué des jésuites. Opportunément secoué par Mai 68, il a suivi le cours de formations éclectiques. Après un parcours professionnel lui aussi très diversifié, il est aujourd’hui attaché au centre d’études d’un parti politique et Conseiller communal. À une longue maladie qui l’a immobilisé plus de quinze ans dans une chaise roulante, il a arraché, par contrainte et par passion, le goût de voyages intérieurs et silencieux.

CHU, chambre 514. Un homme va mourir, enfermé dans une apparente inconscience. Sans nom ni passé. Sans état civil, sans histoire à reconstruire, sans traces à suivre. Un inconnu qui ne doit qu’au hasard d’être encore en vie. Seule Ève, une jeune infirmière, a compris que ce silence était volontaire et désespéré, tendu par une volonté démesurée. Histoire d’une improbable rencontre, «Vous ne dites rien» est un chant de mort rythmé par l’amour sensuel de la vie. Premier texte publié de Benoît Labaye.

Les premières lignes
– Vous ne dites rien, murmura-t-elle. Trois jours, trois nuits. Vous ne dites rien. Je ne crois pas à votre silence. je veux dire… je ne pense pas que vous soyez incapable de parler. Votre état, votre cerveau… est-ce que je sais. Vous êtes là, j’en suis certaine… une cloison pas plus épaisse qu’une feuille de papier. Ne me demandez pas pourquoi. Je le sais, c’est tout. Depuis de longues minutes dont elle avait perdu le compte, elle restait le front appuyé à la vitre. Sa respiration animait une fine pellicule de buée aux formes mouvantes, accentuées par le contraste entre la chaleur excessive du dedans et le froid du dehors. La sensation qui lui venait éveillait, au bord de sa conscience, le rappel d’anciennes jouissances.

Marianne Jeffmar – Rébecca, ta belle-mère

Marianne Jeffmar est née en 1935 à Sidensjö, un petit village du Nord de la Suède. Après des études universitaires en Suède, en Allemagne et en Angleterre, elle obtient son doctorat ès lettres en 1979. Elle a travaillé comme journaliste pour les deux principaux quotidiens suédois, le Svenska Dagbladet et le Dagens Nyheter. Elle fera un long séjour en Belgique dans les années quatre-vingts, et en Suisse de 1990 à 1994. Elle est l’auteur de quinze romans, dont neuf romans policiers.

La Suédoise Rébecca se meurt à Bruxelles. De là elle envoie des lettres à ses belles-filles en Suède. Elle raconte son existence, sa nostalgie et sa jalousie. Or, il est évident qu’elle confond vie réelle et vie rêvée. Sa belle-fille Thérèse est la première à réagir. Mais, à la longue elle ne peut se défendre contre le monde imaginaire de Rébecca, car il est le miroir de ses propres émotions. Construit en miroir, entre la narration et les lettres de Rébecca, ce roman instille peu à peu une sourde angoisse, avant de mener lentement le lecteur sur le chemin de la vérité, d’une certaine vérité…

Les premières lignes
Rébecca avait soixante-deux ans et était venue en Belgique pour mourir. Elle était assise sur son lit, à la clinique Édith Cavell de Bruxelles, et s’y préparait. Le vacarme de la circulation, qui perçait aisément le mince obstacle des vitres de la chambre, ne la dérangeait presque pas. Elle écrivait des lettres en Suède. Des lignes serrées d’une écriture ronde, un peu enfantine, sur des feuilles de papier blanc. Nous étions les seules patientes de la chambre 31, en ce mois de mars 1984. Tout d’abord, Rébecca n’a pas remarqué qu’elle avait de la compagnie. À vrai dire, elle ne voulait rien voir. Elle fermait les yeux, redressait sa perruque châtain foncé et croisait ses mains translucides sur ses feuilles de papier. Il lui fallait du temps.

Dominique Costermans – C’est moderne.com

Si Dominique Costermans vous dit qu’elle écrit, ne la prenez pas au sérieux. Ce qu’elle fait, c’est juste se promener dans la vie les oreilles au vent. Capturer des tas d’histoires dans ses filets à papillons. Regarder par le trou des serrures, écouter aux portes. Filmer dans sa tête des baisers sur la bouche, des mains qui se frôlent, des regards qui se cherchent. Enregistrer des mots entre les lignes, des silences et des soupirs. C’est moderne.com est son troisième recueil de nouvelles, après Des provisions de bonheur et Je ne sais pas dire non (tous chez Luce Wilquin).

L’idée de C’est moderne.com, nous dit Dominique Costermans, a surgi comme un jeu : écrire un peu, souvent, sur des choses de la vie de tous les jours, comme on ferait des gammes. Collectionner une série de petits textes comme autant de cartes postales ou de petits cailloux précieux. Le fil conducteur : le téléphone portable, et ces conversations absolument familières, impudiques, mystérieuses, absurdes, qu’on entend partout. Jouer avec le sentiment d’être seul au monde qu’entretiennent les porteurs de portables.

Les premières lignes
Elle dit . «Ce sont des médicaments pour empêcher la graisse de se déposer sur le cœur.» Elle accentue graisse et cœur, et c’est vrai que la juxtaposition de ces deux mots et des images qu’ils appellent a quelque chose d’obscène, finalement. Elle, le GSM perdu dans une tignasse rousse bouclée et chiffonnée. Un anorak sans manches, un caleçon comme on n’en fait plus depuis vingt ans. Ni vieille ni jeune. Ronde et rousse. J’écris ronde et rousse comme elle dit graisse et cœur. Et je l’entends qui continue : «… je tiens à te dire, ma chère mère, que j’ai ça depuis ma naissance, peut-être même avant, en tout cas depuis toujours, de l’hypercholestérolémie…» Et tout cela sonnait comme un gros reproche qu’elle aurait sur le cœur.

Alain van Crugten – Stef et autres fictions

Professeur de littérature comparée et de littératures slaves à l’Université libre de Bruxelles, Alain van Crugten s’est longtemps cantonné dans la traduction littéraire (Witkiewicz, Mrozek, Zinoviev, Capek, Tom Lanoye). Sur le tard, il s’est lancé dans le théâtre (huit pièces), puis le roman (Des fleuves impassibles, Spa si beau et Korsakoff, ce dernier aux Éditions Luce Wilquin en septembre 2003).

Stef s’énerve face à un psy qui ne répond pas. La jeune femme est à la fois brutale et sensible, obscène et puérile, agressive et vulnérable. Elle aime les jeux de mots sarcastiques. Par bribes, elle nous fait entrevoir une vie sur le fil du rasoir. Et si le thérapeute-auditeur n’existait même pas? Le recueil présente d’autres fictions dont le caractère commun est sans doute une vision du monde ironique et grinçante. Ici il se rit entre autres des difficiles rapports du couple, de la nouvelle Russie qui ressemble si fort à l’ancienne, du nationalisme flamand qui prend des formes grotesques et tragiques.

Les premières lignes
Si ça se trouve, t’es même pas toubib. Avec tes grands airs. Monsieur Mystère. Si? T’es toubib?… C’est ça, réponds demain ou la semaine prochaine… Je sais, je sais que t’es payé pour pas parler. Le plan pépère : je dis rien, je laisse causer, je palpe… Il te paye combien, mon paternel? C’est à la séance ou au quart d’heure? Comme au boxon: c’est pour la nuit ou c’est pour cinq minutes? Je m’en fous d’ailleurs, il n’a qu’à douiller si ça lui chante.