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La petite musique de Jeanne – Ethel Salducci

Si la ville de Sens en avait un pour Jeanne, ce serait la musique.
Quand elle y débarque avec deux valises et son envie d’ailleurs, la mer est loin et la maîtresse de maison arbore un air sévère, mais Jeanne sait que les cigales patientent sous terre avant de passer l’été à chanter.

«Sur l’estrade, Jeanne s’apaise, absorbée par les gestes simples. Régler le pupitre. Vérifier la coulisse du trombone. Ne pas regarder l’assistance. De toute façon, elle n’y connaît personne. Ne pas perdre de vue son objectif, partager la musique. Premier morceau. Un Caprice de Jérôme Naulais. Vibration des lèvres sur l’embouchure, le souffle s’est placé, et le staccato s’articule sans anicroche. Après une pause symbolique, poursuivre avec la réduction pour trombone de la Danse macabre de Camille Saint-Saëns. Pourquoi avoir choisi un titre aussi lugubre ? Envie de rire… Non, pas ici, pas maintenant ! Jouer, jouer et devenir musique.»

Née à Nice en 1968, Ethel Salducci a trouvé à Paris un équilibre entre chiffres et lettres. Elle a publié chez Luce Wilquin un recueil de nouvelles, Singulière Agape, qui a remporté le prix Ozoir’elles 2015. La petite musique de Jeanne est son premier roman.
En librairie le 1er mars 2018

Les premières lignes
La Signora sta poco bene. Le proviseur en personne est venu le dire aux élèves, en VO. Bref, la prof d’italien est absente. Fin des cours dès quinze heures, pas de khôlle aujourd’hui, Jeanne est libre. Elle a enfourché son vélo et chantonne. Une fille de khâgne l’a invitée samedi soir à une fête. Il y aura de la musique, des garçons. Au bout de la rue Cassini, la blancheur de l’église du port sous le soleil. Elle remonte le bas du boulevard Carnot. Sa mélodie légère flotte dans l’air. Elle rentre sa bicyclette dans le hall et grimpe les marches deux à deux jusqu’au quatrième étage. Sa mère se tient dans l’entrée, droite comme un I.
« Salut M’man !
– Jeanne… »
Sa mère hésite. Elle a vieilli. Elle n’était pas comme ça ce matin.
« Ben, t’en fais une tête !
– Jeanne, ma Jeanne, j’ai quelque chose à te dire… »
Ah, non, pas ça ! Pas de plaintes maintenant. Surtout pas de doléances contre son père. Jeanne se moque des histoires d’adultes. Il fait beau, elle n’a pas cours et la plage l’attend. Le regard de sa mère est étrange. Ses yeux sont cernés.

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Trois de nos auteurs primés

Nouvelles2015
Le concours de nouvelles Nouvelles… dans le vent!, organisé par l’Université de Mons (Hainaut) dans le cadre de Mons Capitale Culturelle Européenne 2015, a récompensé trois de nos auteurs : François Salmon (Rien n’est rouge), premier prix pour «Le nom des courants d’air», Ethel Salducci (Singulière agape), prix de la Fondation Mons 2015 pour «Terre d’adoption», et Sarah Berti (La vie al dente), prix de l’Université de Mons pour «Tout ira bien». François Salmon reçoit en outre le Prix de Littérature 2015 de la Société des Sciences, des Arts et des Lettres du Hainaut. Un recueil réunit les textes des six lauréats du concours.

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InvitParis

Singulière agape – Ethel Salducci

501blog

Une escapade improvisée à Venise ou le long d’un canal parisien, une peur d’enfant exorcisée, la paix trouvée loin de chez soi, une grille de scrabble comme terrain de jeu, la vie qui se pose au coin de la rue, une photo d’identité qui suit l’état de l’âme, un époux volage rêvant de revoir sa femme, une existence construite sur l’absence, des poissons qui l’emportent sur un repas de famille, un écrivain fatigué surpris par la vitalité de son personnage, un manuscrit égaré qui retrouve son auteur, la tendresse d’un ouvrier bourru pour son comparse, l’émerveillement au réveil, un festin en solitaire… Quinze trajectoires, que l’on suit l’espace d’une heure, d’une nuit ou d’une vie.
Que Pierrette se remette en question à l’approche de la quarantaine ou que Suzanne se réapproprie la fin de sa vie, qu’Anthelme se joue des tours ou que Jules tire sa révérence, tous ces personnages avancent sur le chemin qui est le leur. Si la démarche est parfois hésitante, le mouvement est amorcé et mène à soi.
Quinze situations, autant de trajectoires… Impressions, souvenirs, sensations pour raconter la vie, tout simplement
En librairie le 6 mars

Les premières lignes
Les propos anodins qu’échangent trois femmes à la table voisine remplissent Pierrette d’une froide colère.
Il s’agit de savoir où chacune achète sa viande et à quel prix, puis de passer en revue les méthodes employées pour dater l’opération sur les sachets plastique, après congélation.
Comment un tel échange peut-il la mettre hors d’elle ? Le sujet n’est certes pas excitant, mais de là à en concevoir de la rage !
N’est-ce pas plutôt ce que Pierrette entrevoit de la vie de ces quadragénaires qui la met si mal à l’aise ?
Employées de bureau depuis toujours, elles n’ont certainement pas renoncé pour autant au rôle de ménagère accomplie hérité de mères parfaites. Elles se doivent de rendre leur foyer agréable pour tous : maris, enfants ou cochons d’Inde.
Mais de quel temps, de quelle énergie disposent-elles pour mener à bien leur tâche ? Est-il concevable qu’elles soient inspirées au bureau et chez elles, ou faut-il plutôt croire qu’elles ne le sont nulle part ?
Pierrette a mal au crâne, comme s’il se fendait sous la pression de milliers d’aiguilles.
Elle-même, que fait-elle de sa vie ? Vers quel but prétend-elle tendre ? Quelle trace laissera-t-elle, qui n’inscrit pas même de date sur des sachets plastique ?
Bien sûr, il y a les petites têtes blondes de Louis et de Jeanne ! Ces deux enfants, ses trésors comme elle les appelle, sont sans doute sa plus belle réussite.
Cette expression lui fait horreur. Qui pense ainsi ? Qui jauge sa vie en termes de réussite ou d’échec ? Qui la juge de la sorte, Pierrette, trente-sept ans, deux fois maman, cadre, compagne de Simon qu’elle ne connaît plus guère, bonne nageuse, excellente danseuse, autoritaire mais tellement à l’écoute, etc. ? Qui sinon elle-même ?

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