La Porte des Lions – Michel Claise

S’il fallait un symbole pour figer un instant l’incroyable destinée de Heinrich Schliemann, ce serait incontestablement le moment où il franchit la porte majestueuse des ruines de Mycènes menant au palais sanglant des Atrides – une porte surmontée par deux lions qui s’affrontent de part et d’autre d’un pilier sacré reposant sur un autel –, tel Agamemnon de retour de la guerre de Troie, avant qu’il soit assassiné par Égisthe, l’amant de la reine Clytemnestre. C’est la raison du choix du titre de ce roman qui a l’ambition de transformer en personnage de fiction cette personnalité hors du commun, comme le XIXe siècle, celui des grands aventuriers, a su en livrer à l’histoire du monde.

Michel Claise est un juge d’instruction connu pour son combat contre la criminalité financière et en charge des dossiers belges les plus chauds dans ce domaine. Après avoir rendu hommage dans Cobre (cuivre) aux héros chiliens de 1973 et dénoncé les exactions commises par un pouvoir absolu sans respect des libertés et des droits de l’homme, il s’empare dans son neuvième roman de la personne de l’homme d’affaires et archéologue Heinrich Schliemann pour en faire le pendant dix-neuviémiste d’Agamemnon.
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Les premières lignes
Les deux enfants se tenaient la main comme ils avaient vu les adultes le faire, assis sur la berge de l’étang proche du village d’Ankershagen, où ils habitaient tous deux. Ils fixaient la surface lisse des eaux stagnantes, troublées parfois par l’effleurement des ailes d’une libellule aventureuse ou par une grenouille qui, se prélassant sur une feuille de nénuphar, se décidait soudain à bondir pour attraper un insecte imprudent. Rien n’aurait pu détourner leur attention, pas même les mouches d’été qui se posaient obstinément sur leur visage.
« Tu crois qu’elle est venue hier ? demanda Minna, se rapprochant du garçon qui occupait toutes ses pensées.
– J’en suis certain », répondit Heinrich, qui frissonna de la sentir si proche.
« Elle », c’était la princesse mystérieuse qui vivait dans les eaux de l’étang et qui, quand c’était la pleine lune, en sortait à minuit, une coupe d’argent à la main, pour faire boire au passant surpris un peu de nectar magique fermenté dans les profondeurs de la Terre. Des histoires comme celles-là pullulaient dans la région comme moustiques en été, chaque arbre ayant son fantôme, chaque pièce du château abandonné son passage secret, chaque cimetière son trésor enfoui. Heinrich Schliemann, le fils du pasteur, n’avait pas son pareil pour récolter toutes les légendes des environs, qu’il racontait à ses condisciples dans la cour de l’école. Déjà que cet élève surdoué agaçait les gamins de son âge par sa mémoire et sa curiosité, mais en plus, quand il s’enflammait en évoquant ces histoires fantastiques et terrifiantes, il en arrivait à les effrayer au point de les faire pleurer, car ils finissaient, comme lui, à y croire dur comme le fer de l’épée d’un chevalier teutonique. Alors, ses condisciples lui tournait le dos, comme dans toutes les communautés quand quelqu’un dérange par sa différence. Sauf Minna, qui restait des heures pendue à ses lèvres, fascinée tant par la magie des récits que par celui qui les dévoilait comme personne. La gamine était la fille d’un riche fermier, monsieur Meincke, qui exploitait plusieurs pâturages autour du village. La famille de Heinrich était pauvre, et faire bouillir la marmite tenait chaque jour de l’épreuve chez les Schliemann.
« Heinrich, et si une nuit elle surgissait devant toi et te tendait sa coupe d’argent, qu’est-ce que tu ferais ? »
Le garçon ne répondit pas, mais il avait la réponse en lui : « J’essaierais de la lui voler ».

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