Pourquoi cette puissance… – Françoise Lalande

Le début
Toujours, c’est de son odeur dont nous nous souviendrons, ce jour-là, le 7 avril 1920, nous avons dit ce n’est pas normal, nous trouvions tous qu’il sentait mauvais quand nous le croisions sur la route, des effluves douçâtres annonçaient son arrivée, des fumets singuliers flottaient longtemps après son passage, mais ce n’était pas important, nous-mêmes nous ne fleurions pas tous la rose, c’est sûr, mais vraiment depuis quelques jours, on ne l’avait plus aperçu, sa maison commençait à trop fleurer le bouc, alors nous avons dit ce n’est pas normal, et nous en avons parlé au maire, comme si une inquiétude nouvelle nous rongeait, nous les habitants de Pourrières, le maire lui-même s’est montré préoccupé, une odeur comme celle-là, ce n’était plus de l’ordre de l’étable aux brebis, il y avait une nuance humaine dans cette odeur putride, c’était gênant, moins pour le nez que pour l’âme, vous comprenez ce que je veux dire ?
Alors nous avons décidé d’aller voir, de fracturer s’il le fallait la porte de celui qui refusait de nous accueillir chez lui, sauvage et malheureux, ivre de solitude et de mauvais vin, et c’est vrai que devant celui-là on avait la certitude que le diable s’occupait des hommes plus souvent qu’à son tour, mais on savait aussi que l’odeur de certains saints pouvaient tarabiscoter les narines (petit tour du bon dieu !), alors, nous disions-nous, peut-être que notre Germain est un saint, il faut reconnaître que l’homme n’a pas beaucoup d’indices pour se forger une opinion sur ce sujet, sinon, parfois, un petit miracle, mais, jusqu’à présent, Germain n’en avait pas accompli, pas encore dirons-nous, oui, l’homme est totalement désarmé face à la présence divine ou démoniaque, il pense avoir débusqué Satan dans le malade qui hurle sa détresse (pour ceux-là barbecue purificateur, il n’y a pas si longtemps), ou il pense avoir rencontré un saint dans le voyageur dépourvu de tout, étrange, cette propension à penser que le dénuement est synonyme de pureté chez l’homme! Personnellement, j’ai toujours trouvé cela naïf, mais peut-être qu’en effet notre Germain était un saint.
Peut-être.
Pas sûr.
Pas sûr du tout même !

D’accord, pendant des années, il a cherché à se rap­­procher de Dieu, animé par une sorte de douce désespérance, souhaitant atteindre la rive des bienheureux, mais, pas si simple, Germain !, il n’oubliait pas qu’il avait aussi hanté des rivages dangereux à l’âme, descente furieuse vers des délices particulières, temps des corps, temps de la poésie, et rien de tout cela n’était dédié à Dieu, mais bien aux hommes, oui, aux hommes !
Il était l’heure d’apprendre ce que le poète Germain Nouveau était devenu.
Au village, nous aimons dire que nous avons le cœur bon et la langue méchante, pas grave, juste une toute petite méchanceté, parfois ça fait du bien, cette poussée mauvaise quand on parle des autres, ça soulage notre cœur frustré, après nous retrouvons notre bienveillance naturelle, mais ce jour-là, à cause de l’odeur, nous avons vraiment balancé entre des sentiments peu chrétiens (cette si particulière excitation devant un drame, oui, l’énervement devant une découverte dramatique, ce fou de Nouveau qui nous faisait parfois honte) et des sentiments plus aimables (la compassion envers ce clochard qui s’entêtait à jeûner mieux que Jésus dans le désert).
Alors, nous avons défoncé la porte de ce lieu dont Germain défendait l’entrée depuis qu’il était revenu au village de sa naissance, nous avions la certitude de fracturer moins une porte qu’une solitude farouche, nous éprouvions un malaise diffus et une crainte bien réelle de nous faire ratiboiser par lui, car lorsqu’il nous insultait, il prouvait drôlement qu’il était poète !, une richesse de vocabulaire, je ne vous dis que ça !, qui nous laissait sonnés d’admiration.
Germain, quel type !, on comprenait sa gloire à Paris, enfin « gloire » est peut-être un terme excessif, disons qu’à la capitale, on le connaissait, qu’il avait fréquenté des hommes plus célèbres que lui, mais un peu gênants à nommer tout de même, Verlaine, Rimbaud, des…, oui, des poètes !, de mauvaise réputation, mais les artistes, on sait ce que c’est, et quand nous l’interrogions sur sa vie de bohême là haut, quand nous espérions recevoir des détails croustillants sur son passé, nous étions envoyés aux fraises, Germain refusait d’en dire un mot, rien !, comme si tout ce qu’il avait vécu, il l’avait effacé, comme si, en tout cas, il refusait de le partager avec des péquenots de notre genre.

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