Kyra Dupont Troubetzkoy – Petit essai assassin sur la vie conjugale

Le début

Depuis quelque temps, Paul, récemment devenu mon «mari», s’est transformé en machine à reproduire des formules stéréotypées. Et lorsqu’il les assène, la même image envahit alors instantanément mon cerveau: je me transforme en kamikaze dont la ceinture explose en plein marché de Bagdad. Je me décompose. «Pardon, auriez-vous l’extrême gentillesse de me rendre mon bras qui est derrière le canapé?» Hier, par exemple, à l’un de ses congénères de la gent masculine venu visiter notre appartement, Paul s’est senti subitement obligé de justifier notre déménagement d’un «Hum… oui… parce que… nous attendons un heureux événement… Voilà!», arborant un sourire entendu, le tout noyé dans une sorte de torsion du cou dont il m’avait jusqu’alors caché la dextérité. Puis dans une seconde compulsion au cliché, j’entends Paul planter le clou d’un «ce que femme veut…», d’un air espiègle, immédiatement suivi d’un rire ramassé, indescriptible il faut bien le dire, mais qui pourrait éventuellement se rapprocher de l’onomatopée «Heu, heu, heu». Le tout accompagné d’un regard décoché comme une droite au parfait inconnu fixant cet instant à tout jamais dans la catégorie «grande connivence masculine machiste à tendance légèrement misogyne». C’est le XV de France tout entier que je visualise maintenant dans mon salon, sirotant des Kro tout en débattant de la condition féminine. Un grand bond en avant dans la compréhension de la psychologie des sexes. Une anthologique prise de conscience du fossé qui nous sépare d’eux. Le monde s’ouvre sous mes pieds et je me laisse avaler.
Drôle de sensation que de se sentir étrangère à la soudaine intimité réunissant deux mâles qui ne se connaissaient pas la minute précédente, mais instantanément fédérés par une sentence la réduisant à son état le plus banal: une femme, rien qu’une femme. Hors propos, donc.
J’ai toujours su Paul habité de ces formules creuses sorties d’un mauvais roman, mais depuis quelque temps, il les propage au bazooka. Comment lui expliquer que ces aphorismes sont l’équivalent de la version «sous-titrage avec commentaires» du menu DVD, c’est-à-dire totalement superflues. Sans elle, on n’en saisit pas moins le sens de l’intrigue, tout en gardant cette subtile touche de mystère qui fait que l’art est art, et non cette vulgaire soupe divertissante qui finira par tous nous avilir. Mais j’ai déjà été engloutie dans les entrailles de la terre (voir plus haut)…
Dans la veine «nouvelles formules» à ajouter au must des expressions maritales, il ne faut pas oublier, bien sûr, le très usité «C’est ma femme qui…», généralement agrémenté de la description d’actes totalement futiles et superficiels liés à des comportements irrépressibles et compulsifs en lien avec le monde ménager, décoratif, gastronomique et de la consommation en général. Exemple – toujours dans le cadre de la visite de l’appartement en vue du déménagement et s’adressant au même interlocuteur devenu plus intime – «Bien entendu, l’on peut décoller cette poule du frigidaire» – n.b.: ardoise adhésive en forme de volaille servant de pense-bête, sur laquelle la femme inscrit la liste des courses ou autres pulsions névrotiques du genre. «C’est ma femme qui a insisté pour qu’on l’accroche…», etc., etc.

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