Joseph Duhamel – Xavier Hanotte, les doubles

Introduction

Dans ses romans et nouvelles, Xavier Hanotte s’est créé un univers littéraire d’une grande cohérence. Il a inventé des personnages attachants, plongés dans le quotidien, confrontés à des doutes et des questionnements sur l’existence, butant sur la difficulté d’établir une relation amoureuse. Il a créé une atmosphère où les ciels changeants se teintent de nostalgie. Il témoigne d’une sensibilité qui fait que ses textes sonnent juste.

Mais la simplicité trompeuse de la narration cache des compositions élaborées. Les diverses composantes du roman sont étroitement intégrées dans des structures complexes. Entre la vision du monde, la conception esthétique de la littérature, les propos explicites des personnages, du narrateur et du romancier, la construction de l’intrigue, les thèmes, les réseaux d’images, les faits de langue, existe une forte cohérence. Cette unité, loin d’étouffer le sens, permet au contraire que le texte s’enrichisse par la résonance de liens le plus souvent implicites.

Une des principales structures de construction dont nous faisons l’hypothèse qu’elle règle l’œuvre d’Hanotte est le double. Chacun de ses personnages principaux a un double, comme si le vrai je était toujours un autre. Les histoires sont doubles. Le temps est tiraillé entre passé et présent. Les lieux eux-mêmes se dédoublent. De nombreux éléments thématiques sont ambigus. Et au niveau de la langue, paradoxes et contradictions sont récurrents.

Le réalisme magique

L’écrivain s’est souvent revendiqué du réalisme magique dans divers textes, sans pour autant en donner une définition. Nous procédons dans ces premières pages à ce que l’on pourrait nommer une définition provisoire, qui sera complétée dans la conclusion en fonction des mécanismes apparus lors de l’analyse.

Le réalisme prétend décrire le monde tel qu’il est tandis que le fantastique affirme l’existence d’une dimension autre avec laquelle le réel entre en conflit. Le réalisme magique se situe à mi-chemin. Il postule la présence au sein même du réel d’un mystère, d’un surréel, indissociable de la réalité, et qui n’est perceptible que dans des circonstances et selon des modalités particulières. De l’ordre de l’indicible, étranger aux moyens du langage quotidien, ce surréel exprime aussi une vérité non transcendante puisqu’inscrite au cœur mystérieux de ce réel. Le réalisme magique se veut donc une tentative de synthèse des deux dimensions composant le monde ; pour la réaliser, il se fonde sur des ressemblances et des correspondances et sur les rapports insoupçonnés entre des éléments du réel. Ce courant est largement représenté en Belgique, essentiellement par des auteurs originaires de Flandre, qu’ils écrivent en français comme Paul Willems ou Guy Vaes, ou en néerlandais comme Johan Daisne ou celui qui en est le principal représentant, Hubert Lampo. Xavier Hanotte qui en a été un ami proche le considère volontiers comme son maître et a traduit plusieurs de ses textes.

Dans ses préfaces aux livres d’Hubert Lampo, Xavier Hanotte avance un certain nombre d’idées et de mots souvent repris dans ses propres romans. Ainsi, la notion d’ailleurs, un ailleurs investi d’un magnétisme qu’il découvre chez l’écrivain flamand devient dans son premier roman «un ailleurs irrésistiblement magnétique». L’univers mystérieux des rêves devient chez lui «le territoire interdit du rêve». Chez Lampo, il voit encore un antagonisme entre la «réalité» et des «faits troublants échappant à toute logique généralement admise». La simultanéité, «c’est ce moment privilégié, improbable, qui met en présence – en contact, au sens électrique du mot – ces deux pôles mutuellement exclusifs ». Il parle également de court-circuit, terme typique de Lampo, ainsi que de mystérieuse cohérence. Il voit encore chez l’écrivain flamand que « le temps et l’espace se disloquent».

Ce vocabulaire va se retrouver partiellement dans ses romans ; parfois des notions proches vont être préférées, comme celle de passage remplaçant le court-circuit. Le mot d’épiphanie qu’il emploie pour Lampo apparaît peu chez lui; certaines scènes pourraient cependant être qualifiées comme telles. Par contre, la catharsis qu’il détecte chez l’auteur de La venue de Joachim Stiller est complètement absente chez Xavier Hanotte. Cette absence est significative et ce ne sera pas sans conséquences sur la structure et les enjeux de ses récits. De la même façon, la référence, chez Lampo, à Jung et aux archétypes de l’inconscient collectif ne fait pas partie de l’univers mental d’Hanotte; nous verrons que ce sont plutôt des variations sur le mythe platonicien de la caverne qui s’imposeront. L’attente, par contre, est un thème qui revient souvent.

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