Ce fut une messe… en forme de corrida – Joël Glaziou

Le début
Sûr, ce jour-là serait un grand jour pour Jesús.
C’est du moins ce que disaient Mémé et Pépé qui avaient la charge de son éducation. Une croix était tracée sur le calendrier. María avait choisi ce dimanche d’août, et Jesús ferait sa première communion dans l’église où il avait été baptisé.
Or, de son côté, José avait projeté d’initier Jesús à la tauromachie et de lui offrir sa première corrida. La corrida dominicale qui clôture en apothéose la feria annuelle…

Jesús était né le jeudi de l’Ascension.
– Un bon présage, avait dit sa Mémé María.
– Surtout sous le signe solaire du taureau, ascendant taureau, précisait Pépé José.
María avait choisi le prénom de Jesús.
Pépé avait dû plier devant sa volonté alors qu’il aurait préféré Joselito.
Tout en se penchant sur le berceau de Jesús, María lui avait murmuré au creux de l’oreille:
– Mon petit, tu seras Pape et je serai fière! Et tu me béniras entre toutes les femmes!
Pépé José en se penchant sur l’autre oreille avait formulé des vœux vraiment différents:
– Matador tu seras et tu triompheras aux arènes de l’Ancien et du Nouveau Monde!
Après la voix des astres et des bonnes fées, on attendait quelques offrandes des Rois Mages… Parents, parrain et marraine se contentèrent de cadeaux et de paroles de circonstance!

Le jour même de son premier anniversaire, il fit ses premiers pas dans l’église paroissiale. María jubilait devant ce petit miracle qui ne pouvait être que le signe de Dieu…

Quelques années plus tard, ses parents séparés partirent vivre leur vie sous d’autres cieux, laissant Jesús à la garde de ses grands-parents maternels.

Depuis sa naissance, il avait beaucoup grandi. Il était même grand pour neuf ans… bientôt dix. Et ce jour d’août serait pour lui un grand jour.

Ce matin-là, alors qu’il s’habillait dans sa chambre, il assista de loin aux premières piques. José voulait l’emmener voir le sorteo avant la messe. Histoire de le mettre dans l’ambiance, de jeter un œil sur les toros. Histoire de savoir ce qui sortira du chapeau… de cette étrange boîte noire d’où une main tirera les noms des toreros et les numéros des toros qui s’affronteront dans l’après-midi.
María monta aussitôt sur ses grands chevaux.
– Pas question de confondre le très saint mystère de la messe et de la communion avec un quelconque culte païen. Surtout qu’il serait capable de ramener l’odeur de bouse dans le chœur sacré de l’église.
José fit volte-face.
– D’accord pour ce matin, c’est le culte du Christ… Pas de toros, pas d’encierro, pas de sorteo. Soit… Mais cet après-midi, Jesús communiera avec plus de quatre mille aficionados pour célébrer la vie, la mort et la résurrection des toros…
En se retournant, il ponctua cette réplique-banderille d’un Olé! que María dut bien entendre. Et Jesús savait ce que cela voulait dire. Car entre eux, il y avait des répliques-piques, comme il y avait des répliques-banderilles et des répliques-véroniques ou naturelles. La maison était une arène quotidienne où chacun était, tour à tour, toro et toréador…
José ne vivait que pour et par la corrida. Et chaque jour, il initiait Jesús aux arcanes de la tauromachie. Il décrochait les tabliers pour faire des capes. Les fourchettes se transformaient en banderilles pour un toreo de salon ou de cuisine. Et les serviettes devenaient des muletas. Chaque geste, chaque regard, chaque parole était une occasion de référence à l’art de toréer. Souvent ponctuées d’un Olé ! et d’un clin d’œil de connivence vers Jesús.
Pour lutter contre cette éducation qui ne pouvait mener qu’à la violence, au meurtre et à la guerre, María faisait réciter à Jesús, matin et soir, ses prières et lui faisait réviser son catéchisme. Elle répétait que Dieu aime les hommes et les bêtes, que Dieu est la Vie… Et que les hommes qui tuent des animaux pour leur plaisir ne sont que des monstres, des meurtriers, des créatures du diable.
Ce à quoi José répondait en lui demandant comment le rôti dominical bien saignant, dont elle raffolait tant, arrivait dans son assiette et d’où venait le poulet bien doré qui tournait dans le four.
– Olé!
En se retournant, elle revint à la charge.
– Et les vêpres alors?
– Le culte du toro vaut bien celui du Christ… D’ailleurs il y aura plus d’aficionados dans l’arène que de fidèles dans l’église !
Les cloches de l’église sonnèrent et mirent fin à la première partie du combat. Jesús était prêt dans sa chemise blanche, son costume gris foncé et ses souliers vernis.
– Arrête de blasphémer! s’écria María en claquant la porte.

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