Un fou dans la manche – Stanislas Cotton

Le début
Un battement sourd résonne dans la nuit. Haletant. Répétitif et assommant. C’est samedi soir, les derniers touristes de la saison s’agitent au Camping Mare Blu, trois étoiles et une chique. Trois étoiles défraîchies peintes sur l’enseigne bleue qu’éclairent des tubes au néon. Le Mare Blu offre plage et piscine, bar et petite restauration, toilettes et douches, presque correctement entretenues par la signora Daria – silhouette ronde en tablier rose qui se dandine du matin au soir autour des blocs sanitaires –, machines à laver, épicerie… Gémissements la nuit sous les toiles de tentes et sous les étoiles : ces folles, vise leurs fioles filantes dans la nuit ! Gémissements au clair de lune et grincements de sommiers, plutôt moyens, dans les bungalows.
La musique repart de plus belle. Sûr, il y a de l’ambiance au Mare Blu.
Une jeune femme blonde, taille fine et longues cannes brunies, allume-feux de fin d’été, quitte la piste, un peu hésitante dans ses sandales. Elle bat des cils devant Gianluigi di Luigi dit Billy pour lui taper une cigarette. Gianluigi dit Billy, barman attitré du Camping Mare Blu, trois étoiles et une chique etc., a également parmi ses attributions la charge de sommeiller devant la réception durant les heures les plus chaudes de la journée, la plupart du temps en maillot de bain, lézard vautré au soleil, biceps et pectoraux en évidence ; l’organisation très pointue des soirées à thème hebdomadaires et le ratissage matinal de la plage afin d’y prélever les mégots de cigarettes et de joints, parfois une seringue balancée dans le sable et, surtout, les préservatifs abandonnés par les vacanciers. Il paraît que la mer et le soleil agissent sur la libido… Billy, d’ailleurs, traverse l’été en collectionnant les filles. En mal de sensations, sans doute, elles se glissent complaisamment dans les bras de ce grand bronzé, aux muscles rebondis et au regard ténébreux. Ce prédateur à la peau tannée, aux trois neurones séjournant dans les couilles, considère que la période estivale qui s’achève a vu très nettement les filles de l’Est supplanter les Allemandes en matière de fellation.
Billy sourit, complaisant.
– Ciao Linda.
Il s’y croit. Et s’y croire donne parfois ce petit surcroît de confiance qui fait la différence. Il attrape un paquet de blondes light sur lequel figure en grosses lettres noires l’avertissement : fumare uccide. La jeune femme s’empare d’un cylindre de tabac et se penche, en retenant ses mèches blondes, vers la main bronzée, baguée d’or et d’argent, où scintille la flamme d’un briquet. Billy cligne de l’œil, demi-sourire aux lèvres, en indiquant d’un signe du menton la direction de son bureau-bungalow-résidence d’été, bungalow avec sommier neuf, cela va de soi ; le coureur de fond, tombeur infatigable, ne tolère pas le grincement lorsque le Grand Turc entre dans Constantinople. La fille hoche positivement la tête, et tempère aussitôt en ajoutant d’un signe de la main : plus tard. La fille aspire la fumée et dérive lentement vers la plage, le pas mal assuré sur ses longues quilles, tandis que Billy lorgne en connaisseur ses fesses moulées dans sa petite robe d’été.
– Je la coincerais bien dans un coin, moi, cette jolie blonde.
– Ne t’avise pas de toucher, Gianlu, cette nuit, c’est chasse gardée.
– Tu pourrais partager.
– Bosse au lieu de causer. Tu n’as que l’embarras du choix.
La fille s’éloigne. La sueur colle des mèches blondes sur son front. Elle cherche un peu de fraîcheur le long de la dune.
Combien sont-ils, d’habitants du coin, à maudire les samedis d’été et ce battement de basses hallucinées ? Combien, comme Renato Cona, assis sur la terrasse de sa villa, un cigare entre les lèvres, caressent la crosse luisante d’un revolver en rêvant de buter d’une balle en pleine tête Billy Mare Blu et son complice, l’inventeur de l’amplifi­cation. Mais Billy travaille pour Renato Cona, il a besoin de cet employé qui gère son business avec les touristes, alors il soupire profondément, glisse une main dans le pantalon de son pyjama pour se gratter les testicules, puis, prenant son mal en patience, soulève son verre où repose une antique grappa vieillie en barrique.

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