Thierry Bellefroid – Lâche et persévérant

Après «Madame K ou la juste place des choses», son premier roman aux accents romantiques, Thierry Bellefroid nous présente sa face sombre, cynique. À travers une écriture libérée et décapante, il nous brosse une galerie de personnages tantôt farfelus tantôt pathétiques. Avec un zeste de provocation et beaucoup d’humour, «Lâche et persévérant» vous emmène sur les traces d’une famille déchirée par le poids d’un trop lourd secret. Thierry Bellefroid est journaliste à la RTBF, où il anime entre autres Signé dimanche.

«Ma femme est fade. Un véritable dictionnaire de la normalité.» Les premiers mots de ce livre donnent une idée du cynisme du narrateur. Page après page, dans cette galerie de portraits partagée entre deux familles: celle, insipide, de la mariée et celle, déjantée, du narrateur – se découvre un plan machiavélique et totalement amoral. Martine est une jeune femme sans personnalité et dénuée de charme. «Une fille comme une feuille blanche, où tout reste à écrire», écrit son mari. Partant de ce glacial constat, le narrateur va façonner Martine à sa manière. Son but? La faire ressembler au seul grand amour qu’il ait connu: Chrys. Mais tout le monde n’est pas prêt à le laisser faire…

Les premières lignes
Ma femme est fade. Un véritable dictionnaire de la normalité. Pourtant, ils ont tous les yeux rivés sur elle, cet après-midi. Non pas qu’elle soit plus belle que d’habitude. Sa robe de mariée ne parvient pas à la mettre en valeur (à moins que ce ne soit l’inverse?). Je crois qu’ils cherchent tout simplement à comprendre ce qu’elle fait là. Au premier rang, la famille Maboul au grand complet. Mon père, queue de cheval, dents et costume blancs, ne lâche pas Samantha des yeux. (Hou hou, Papa, regarde par ici, je suis là, je me marie.) C’est la deuxième fois que je les vois ensemble. Ils se sont dit oui à Las Vegas, il y a six mois. À première vue, son Américaine a des arguments en provenance directe de Silicon Valley. Mais mon père, jamais en mal de confidence sur le sexe, m’a affirmé que tout était rigoureusement d’origine. Samantha, c’est le musée du désir. N’importe quel homme normalement constitué ne peut rester face à une fille pareille plus de vingt secondes sans avoir envie d’explorer toutes les salles. Et le plus fort, c’est qu’elle réussit à se donner des airs d’ingénue. Peut-être que ça passera avec l’âge; elle a tout de même douze ans de moins que moi. À côté d’elle, Soeur Marie de la Visitation, ma mère. Le contraste vaut le coup d’oeil. Et la photo de famille à la sortie risque d’être amusante. Plus loin, dans sa chaise supersonique, Bernard, mon frère aîné paraplégique. On ne s’est plus parlé depuis dix ans. Il a fait fortune dans l’informatique. Grâce à son pognon, il peut s’offrir les services de Muriel, l’infirmière-air-bag qui pousse sa chaise avec des allures d’actrice porno.

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