Colette Nys-Mazure, accordée au vivant – Mathieu Gimenez

Le début
Quiconque voudrait comprendre Colette Nys-Mazure devrait commencer par se rendre au Mont-Saint-Aubert, de préférence un lundi de Pâques pour la Marche à Baton. Contrairement à ce que le nom de ce lieu pourrait laisser croire, ce n’est pas une montagne, ni tout à fait une colline. La Belgique n’aime pas ces hauteurs narquoises. Contemplez le Mont-Saint-Aubert et vous aurez l’impression que le paysage hausse les épaules et vous fait un clin d’œil. On vous incite à grimper. Au Mont-Saint-Aubert, il vous faut laisser le village et la rue du Reposoir pour emprunter le Chemin des Poètes. Ce petit sentier est jalonné de pierres bleues gravées sur lesquelles les promeneurs sont amenés à lire les citations des poètes de la région. Parmi elles, la voix de Michel Voiturier se fait entendre : « Chaque rencontre m’est aube ». Colette Nys-Mazure lui répond par des vœux de vie : « Célébrer les silences et leur ouvrir les ailes ». À l’issue de ce sentier, le promeneur peut rejoindre le Jardin des Poètes. Inauguré à l’occasion du quatre-vingtième anniversaire de son mécène Géo Librecht, ce jardin réuni les sépultures de neuf poètes de l’association Unimuse. Il forme « un arc de cercle où viennent se placer les tombes individuelles en éventail, orientées vers la France » expliqua son mécène. Sur la dernière de ces neuf tombes, le promeneur lira ceci : « Colette Nys-Mazure 1939- / Tendre à travers mots une main Et traverser la nuit sans mourir ». Cette tombe, insolite aux yeux de certains, plaît assez à Colette Nys-Mazure qui y amène volontiers ses visiteurs. Elle y prend par ailleurs un malin plaisir qui parle à sa place. La mort fait partie de la vie de Colette Nys-Mazure. Née en 1939, elle connaîtra les horreurs de la guerre et sa violence. Elle n’oubliera jamais la douleur des femmes rasées et le retour des soldats. À l’âge de sept ans, le deuil précoce qu’elle doit porter fait d’elle une orpheline, marquée aux yeux de tous par la couleur de son vêtement. De cette période, elle gardera une angoisse chevillée au corps et un goût définitif pour la vie et ses joies. Aidée par ses proches et par la religieuse Sœur Marie Tarcisius, elle ne succombera ni à l’amertume ni à la rancœur. Elle vivra accordée au vivant.
Écrire la biographie de Colette Nys-Mazure est une gageure. Sa vie transparaît dans tous ses écrits. Chaque essai, chaque poème et chaque recueil de nouvelles est nourri de ses expériences. Sans entrer dans le jeu de l’autofiction, elle se livre et se laisse lire à travers ses phrases qu’elle travaille avec amour et exigence. Écrire sa vie, ne serait-ce pas redondant pour son lecteur familier ? Comment, d’autre part, être exhaustif ? Cette biographie, Colette Nys-Mazure l’écrit et la vit au jour le jour, ajoutant de nouveaux textes et de nouvelles expériences chaque année à une œuvre d’une richesse féconde.
Une unité profonde se dégage tout de même qui permet de tisser des liens entre sa vie et son œuvre. Son féminisme, par exemple, vécu comme désir de permettre plus d’égalité dans les chances, provient d’une vision d’enfance. Fille d’une veuve sans ressources, elle a mesuré à l’âge de sept ans l’importance de l’indépendance financière des femmes, qui passe par les études et le métier. Ce choc initial la conduira à l’Université Catholique de Louvain où elle réussira une maîtrise en Lettres Modernes de 1957 à 1961. Elle y sera par ailleurs assistante dès 1974 et ce jusqu’en 1980. Le choix de la littérature découle naturellement d’un goût prononcé pour les mots, leurs sonorités et les images qu’ils créent. Ce goût, entretenu et nourri par des professeurs attentifs tout au long de sa scolarité, lui fait prendre le chemin de l’enseignement vers lequel elle se dirige dès la fin de ses études universitaires. Ce métier, exercé de 1961 à 1999, lui ouvre les portes de la transmission du savoir et définit ses rapports à la littérature, son œuvre entière étant placée sous le signe du partage et de la transmission. De ce métier d’enseignante lui vient en effet le désir de donner l’eau à la bouche de ses élèves, puis de ses lecteurs, en propageant la poésie et ses merveilles, ce feu sacré qu’elle se refuse à garder jalousement. Ce même désir se retrouve également dans les nombreux engagements qu’elle contracte à travers le monde. Ses nombreuses participations comme conférencière et écrivaine au Congrès International d’Études Francophones – (Strasbourg (1992), Casablanca (1993), Québec (1994), Charleston (1995), Toulouse (1996), Sousse (2000), Liège (2004), Ottawa-Gatineau (2005), Sinaïa (2006), Limoges (2008), Aix-en-Provence (2011) – de même que ses missions de la Communauté Française de Belgique participent de cet élan vital qui la pousse vers l’autre. Elle y témoignera du rôle nourricier des mots. Elle y offrira son enthousiasme et le regard qu’elle porte sur la poésie en particulier et la vie en général. Un bien des plus précieux. De ces déplacements, sur courte ou longue distance, elle dit qu’ils la « déplacent et la dérangent » et donc l’accroissent. Si elle quitte à regret sa maison et les siens (qu’elle retrouvera au retour avec plaisir), elle n’en aime pas moins la découverte de l’autre, de sa culture et de son lieu de vie. Elle aime aller à la rencontre des poètes, des lecteurs, des élèves. La poésie bénéficie de tout cela  au même titre que les nouvelles et les essais qui font la part belle à ces échanges humains et humanistes ainsi qu’aux moyens de transport (quelle autre écrivaine semble aussi attachée qu’elle aux gares et aux trains ?). En voyage, il faut se mettre à la place de l’autre, dans un certain cadre. C’est là tout le travail de l’écrivain !
C’est à l’occasion d’un atelier d’écriture, après lequel elle fait le vœu de ne plus passer une seule journée sans écrire une ligne, qu’elle embrasse sa vocation d’écrivaine. Les multiples implications d’un tel choix sont-elles plus vivement ressenties pour une femme ? Épouse, mère d’une famille nombreuse et enseignante à temps plein, quelle place pouvait-elle encore accorder à l’écriture ? Le regard des autres et les questions insidieuses ne manquent pas. C’est parce qu’elle est une femme que la question se pose. C’est aussi parce qu’elle est une femme qu’elle se refuse à toute compromission. L’écriture et la vie, dit-elle en écho à Jorge Semprun. La lecture des féministes françaises et américaines des années 60 et 70 la rendent toujours plus vigilante à cette posture de femme de proue et de haute liesse. Une recherche de doctorat allait dans ce sens et a enrichi cette perception, mais il lui fallait dire, à travers ses textes, qu’en effet une femme peut être une épouse, une mère, une enseignante et une écrivaine accomplie. Poète, romancière, nouvelliste, dramaturge, chroniqueuse et critique littéraire, voici les différentes casquettes d’une touche-à-tout que des prix récompensent depuis le début de son aventure littéraire. Ce sont au total plus d’une soixantaine d’ouvrages qui constituent l’œuvre en mouvement de Colette Nys-Mazure et qui lui valent la reconnaissance de ses pairs. Ses cinq enfants et sa tribu de petits-enfants s’inscrivent en échos à ces livres publiés. Ils participent par ailleurs de l’écriture et suscitent bien des anecdotes. Les essais accompagnent les enfants dans leur apprentissage de la vie tandis que les livres pour la jeunesse apparaissent avec les premiers petits-enfants. La figure de Pénélope s’impose ici tant la volonté de tisser des liens et de bâtir des échos est présente chez l’auteure de Célébration du quotidien.
Ces mêmes échos invitent à porter un regard d’ensemble, un regard qui chercherait l’unité du discours derrière la profusion des genres. S’associant à la perspective unanimiste, Colette Nys-Mazure forme le dessein de montrer une multitude d’individus dont les trajets parallèles ou croisés forment le mouvement de la société et donnent lieu à une représentation simultanée. Tout est lié, le vivant s’imbrique dans le vivant. Cette monographie recherche ce regard en tentant de mettre au jour le rythme intime de l’œuvre et des mots qu’il nous appartient de faire résonner.

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