Le début
Bethléem était envahie par le retour des familles à recenser. Maryam attendait. Joseph était parti chercher une place pour qu’elle accouche au chaud. Une pièce, même petite, même commune, qu’on accepterait de lui louer pour son épouse. Maryam ne voulait pas.
Né à Bethléem, Joseph l’avait quittée très jeune pour la Galilée. Il n’avait personne à qui s’adresser, se rassurait Maryam.
Oh ! mon Dieu, fais que Joseph revienne bredouille. Je ne veux pas d’un bout de pièce à partager avec d’autres, je veux être seule à mettre au monde notre enfant. Je ne veux partager ce moment avec personne. Il sera bien assez tôt ensuite.
Joseph sonnerait aux portes, parlerait de Maryam et de leur fils à naître. Il ferait tous les efforts du monde pour convaincre, attendrir. Pourvu qu’il n’y arrive pas. Il faisait froid, dirait Joseph, il fallait une pièce à son épouse, au moins un lit, elle s’en sortirait sans sage-femme, elle était forte, sa Maryam, Dieu le savait bien.
Pourvu que personne ne cède, ne se laisse attendrir.
Les villageois donnèrent du pain et du fromage, une couverture, une peau de mouton, un peu de lait. Pas de chambre, pas de lit. Merci mon Dieu, merci ! Les maisons étaient pleines à craquer, « Vous comprenez, ce fichu recensement… »
Béni soit-il, ce recensement ! Maryam n’avait pas à mettre son enfant au monde à Nazareth, le village de sa naissance à elle. À souffrir des méchancetés de voisines et de cousines. Joseph l’avait sauvée de la lapidation en la prenant pour épouse, mais les mots, les regards et les sourires moqueurs l’atteignaient toujours, la blessaient encore.
Maryam n’aurait pas à les entendre constater que l’accouchement était tout aussi bruyant et douloureux qu’un autre, pour un enfant annoncé par un ange.
Pourquoi idiote ai-je parlé de la visite de l’ange. À Judith ! Pourquoi ne me suis-je pas ravisée à temps. C’était un rêve, un songe, je dormais, juste un rêve, pas vraiment une visite, pas vraiment une annonce. Trop tard. Judith avait recueilli ma confidence. Judith devait en faire quelque chose. Judith et ma confidence. Partout étalée par Judith, ma confidence. Judith ne m’a jamais voulu de bien, idiote je le savais bien. Pourquoi ai-je cru en notre amitié, pensé que sa jalousie passerait, pourquoi ai-je eu pitié ? Judith et ses déclarations d’amour après ses méchancetés. Judith qui demandait pardon, me ramenait à elle après m’avoir fait fuir. Moi incrédule, sonnée, et ses excuses, « Pardon je t’aime trop, ça me donne envie de te faire du mal parfois, à toi qui aimes tout le monde, à toi si belle et si bonne. Il faut me comprendre, je ne n’aime que toi, je n’ai que toi. Mais pardon, mon amie adorée, elle disait, je t’aime, je meurs si tu cesses de m’aimer. »
Et moi idiote qui demandais pardon aussi de lui inspirer tant de haine, moi touchée par sa sincérité passagère, moi toujours idiote de me laisser attendrir.
Maryam s’amusait à se montrer pleine d’égards et de gentillesse, pour le plaisir de voir ses voisines décontenancées. À Sarah, qui avait dû se résoudre à abattre son figuier malade, Maryam avait offert un panier de ses fruits préférés. Sarah si gourmande qu’elle en avait oublié d’être méchante. Elle avait serré Maryam dans ses bras en riant, avant de dévorer une figue, de croquer dans une autre. D’insister pour que Maryam y goûte aussi. Sarah allait-elle l’inviter à boire un jus de fruit ? Non. Les autres observaient. Rappelant à Sarah que la fille de Joachim n’était pas des leurs.
Maryam observait aussi. Entendait : elle ne faisait rien comme les autres. Elle ne travaillait pas la terre. N’épousait pas de paysan. Mais un artisan, un petit notable, comme son père Joachim. Elle fréquentait assidûment la synagogue, trop. Elle ferait mieux de s’occuper de sa vieille mère.
Maman, ne sois pas si fière, tu restes la même à mes yeux, toujours, la plus belle, la plus forte, laisse-moi m’occuper de toi, ça ne changera rien à mon amour. J’aimerais juste te revoir rire, au moins sourire.
Maman, oui je comprends, c’est difficile de voir sa peau qui se fripe et se détend, et d’avoir mal au dos et de ne pas aimer son mari. Mais c’est mon papa, ton mari, maman, et je l’aime. Laisse-moi mes amours et mes haines, et garde les tiennes. Maman, il est fini depuis longtemps le temps où nous ne formions qu’une, mais je ne t’aime pas moins.
Maman, maintenant c’est moi qui vais devenir maman, une maman pas comme toi, pas tout à fait, pas vraiment, pas du tout comme toi. On verra bien, quoi qu’il en soit une maman qui fait de son mieux, comme toi.
Une maman qui sera douce et encourageante et confiante et gaie, tu verras, mon bébé, moi en maman, ça va être bien.
Et surtout, poursuivaient les voisines : Maryam faisait ses enfants avant le mariage. Avec un bandit.
Dieu, fais-les taire, je t’en prie.
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