Archives de catégorie : Publications

Petite fantôme – Mathilde Alet

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Quand on a une grande sœur, on passe les quinze premières années de sa vie à essayer de lui ressembler et les suivantes à essayer d’être différente.
Les sœurs Gil et Jo Agnelli entretiennent leur complicité en se retrouvant chaque mercredi à la même heure au café Les Trois Compères, qu’elles surnomment Les Deux Commères. Gil est assistante auprès d’un cabinet d’avocats et apprentie-écrivain. Son rêve de faire publier son premier roman rétrécit à mesure qu’elle reçoit les lettres de refus des maisons d’édition. Suivant les conseils de Jo, elle décide d’écrire un autre livre. Un livre qui sera publié, commenté, lu. Un bestseller ! Les deux sœurs se lancent alors dans une aventure littéraire qui bouleverse leurs repères, perturbe même leurs sacro-saints rendez-vous du mercredi. Que reste-t-il d’un lien quand on en perd les habitudes ?

Mathilde Alet est une auteure franco-belge. Son premier roman, Mon lapin (Éditions Luce Wilquin, 2014), dévoile une écriture dépouillée et efficace qui sonde les liens familiaux à travers le prisme des choses légères du quotidien. Elle collabore régulièrement à la revue culturelle en ligne Karoo, consacrant ses chroniques à la découverte des œuvres littéraires belges.
En librairie le 7 octobre 2016

Les premières lignes
Gil est assise à sa place habituelle sur la banquette orientée fenêtre. Elle ne s’inquiète pas tout de suite du vide de l’autre côté de la table. Des deux sœurs c’est Jo, la retardataire. Pendant les premières minutes d’attente, Gil observe toujours le skaï rouge défraîchi et déchiré par endroits de la banquette encore libre, laissant s’échapper une mousse synthétique brunâtre. Elle pense à toutes les fesses qui s’y sont avachies, les leurs exclusivement les mercredis à seize heures, à la transpiration collante des cuisses dénudées en été et à l’improbabilité évidente d’un coup d’éponge sur ce faux cuir poisseux. Après, elle jette un œil à l’horloge Ricard au-dessus du bar qui, à ce stade-ci, indique en général seize heures trois. Quoi qu’elle fasse, et même les jours de grève, de pluie ou d’oubli – dans sa vie aussi surgit l’imprévu –, Gil est toujours à l’heure. Pas en avance. À l’heure à faire peur. Aux rendez-vous vers seize heures, elle arrive à seize heures tapantes. Le temps de Jo est plus élastique, moins horloger, plus personnel. Gil le sait bien mais n’amène jamais de livre, espérant chaque fois une soudaine ponctualité de sa sœur.

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Un endroit d’où partir | 2. Une vierge et une cuillère en bois – Aurelia Jane Lee

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On retrouve dans Une vierge et une cuillère en bois Juan Esperanza Mercedes de Santa María de los Siete Dolores à l’âge de vingt et un ans. Peintre abstinent, amant impénitent, chercheur solitaire, homme-arbre dont le bois semble craquer de toutes parts, il poursuit sa route, tentant de remonter aux origines de son existence.
La vie l’entraînera une fois encore, à travers d’improbables détours, vers de nouvelles amours et des horizons artistiques insoupçonnés, pendant que Don Isaac, Clara Luz, Remedios et tous ceux qui l’ont aimé se laisseront, eux aussi, surprendre par le destin. Car les êtres qui croisent la route de cet orphelin en ressortent à jamais transformés et libérés.

Aurelia Jane Lee (1984) possède un master en communication et a également étudié la philosophie. Elle vit et travaille à Bruxelles. Elle s’est fait connaître en 2006 avec un premier roman intitulé Dans ses petits papiers, salué par la critique.
Un endroit d’où partir, sa saga en plusieurs volumes, dévoile une nouvelle facette de son imagination et entraîne le lecteur au cœur d’une Amérique latine fantasmée.
En librairie le 7 octobre 2016

Les premières lignes
Près de quatre mois s’étaient écoulés depuis que Juan avait frappé à la porte du couvent de Nuestra Señora de la Inmaculada Concepción, lorsqu’il en sortit pour la première fois, chargé de provisions soigneusement préparées par la sœur Dulce et qui devaient lui permettre de ne pas revenir avant trois ou quatre jours. Il trouva ce qu’il cherchait dans un village distant de quelques kilomètres, chez divers artisans. En empruntant chez les uns et chez les autres, il finit par rassembler tous les outils nécessaires ; il promit de tout rapporter et nota donc ce qu’il avait pris à chacun, ainsi qu’où se situaient leur maison ou leur atelier. Sur la route du retour, il trouva le dernier élément qui lui manquait, lequel le ralentit fortement dans sa marche : un rondin long de près d’un mètre cinquante qu’il fit rouler devant lui, jusqu’à l’entrée du couvent.
Il réintégra alors sa cellule et se mit avec ardeur à écorcer, équarrir, tailler, raboter, limer, comme il avait appris à le faire auprès des artistes de la caravane, quand il confectionnait des objets religieux pour un peu mieux gagner sa vie. Il n’avait jamais travaillé sur une aussi grosse pièce et, dans les premiers jours, il s’inquiéta beaucoup à l’idée d’enlever trop de matière. Avec le bois, on ne pouvait pas revenir en arrière, recoller les morceaux, remodeler : il fallait tricher ou recommencer à zéro, avec un nouveau rondin. Il progressa donc lentement, avec circonspection, s’adonnant à de savants calculs que lui avait enseignés Don Isaac, traçant des repères, y réfléchissant même la nuit. Il ne sentait plus ses mains le soir venu, quand il se couchait enfin, mais la silhouette commençait à prendre forme. Les sœurs, qui se relayaient pour déposer la nourriture, l’eau et le savon, ne passaient chacune que tous les trois ou quatre jours, et elles découvraient d’une fois à l’autre l’esquisse à un stade nettement plus avancé. Elles en parlaient entre elles. Il n’y eut très vite plus de doute : elles assistaient à la naissance d’une Vierge.

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Ce qu’elle ne m’a pas dit – Isabelle Bary

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Quel est le point commun entre une quadragénaire moderne, belge et blonde du XXIe siècle et un trappeur amérindien né dans les années ’20 ? Le sang !
Marie a quarante-sept ans. Avec Alex, son mari, et Nola, leur fille de seize ans, ils forment une famille bourgeoise contemporaine : un boulot accaparant, une indispensable vie sociale, un chien à poils longs, des engueulades et des fous rires, des sushis le samedi, des impertinences d’ado avec un peu d’herbe fumée en cachette et, bien sûr, trop d’Internet. Rien d’extraordinaire, en somme.
Mais ça, c’était avant. Avant que Marie découvre le secret bien gardé du passé passionné et violent qui est le sien. Tantôt cruelle et tantôt drôle, émouvante et parfois désespérée, la révélation de ce secret tisse peu à peu une histoire qui rapprochera Marie de sa fille.
Parce que nous avons tous de vieux secrets, petits ou grands, l’auteur de Zebraska célèbre, dans son huitième roman, l’imagination, la mémoire, l’amour, l’humour et la joie de vivre comme alternatives au silence.

Isabelle Bary est née à Vilvorde en 1968, d’une maman mi-flamande, mi-anglaise, et d’un papa bruxellois francophone. Comme les chevaux, la lecture et le chocolat, l’écriture a conquis son cœur dès l’enfance, mais la possibilité de la vivre n’est venue que bien plus tard, après ses études d’ingénieur commercial Solvay et une courte vie de femme d’affaires.
En librairie le 2 septembre 2016

Les premières lignes
Les doigts crispés sur le volant, Alex pilonna le frein. Marie poussa un petit cri qu’elle estima d’emblée ridicule : il n’y avait eu aucun impact. Un homme se tenait là, droit devant eux, au milieu de cette rue tranquille caractéristique des quartiers bourgeois. Un homme nu. Entièrement nu ! Alors qu’Alex se remettait de l’effort fourni pour éviter l’obstacle en récitant silencieusement un vers de Baudelaire, Marie calmait sa tachycardie en calculant le nombre de microsecondes qui auraient transformé ce moment surréaliste en cauchemar sanglant. Jamais ils ne sauraient qui était cet homme. Ni même son âge, s’il était beau ou moche, effrayé ou amusé. Les phares n’éclairaient qu’une certitude : le genre était masculin ! Lorsqu’Alex s’apprêta à le rejoindre, l’inconnu fit volte-face, leur offrant la version pile de son bas-ventre. En quelques secondes à peine, il avait disparu. On aurait pu croire alors que rien ne s’était passé. Sauf que Marie tremblait. L’incident avait éveillé cette chose en elle. Cette chose dont elle ne parle pas et qui l’habite depuis toujours. Non, pas depuis toujours, mais c’est pareil. L’effet est le même, tétanisant. Alex savait, bien sûr. Alors, il lui a caressé la joue puis, y approchant ses lèvres à la manière d’un baiser, il lui a susurré ce qui lui venait simplement à l’esprit : Ce type, Marie, avait la fesse molle !
Le rire était sans aucun doute le plus joli trait d’union entre ces deux-là.

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La vie est un voyage – Jacques Franck

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Ces Mémoires sont une somme inestimable, le récit d’une vie passée à écouter les autres et à transmettre leur parole, à découvrir des textes et des lieux, à nouer des amitiés fidèles.
Préface de Jacques De Decker
Regard de Stéphane Lambert
Témoignage de Francis Van de Woestyne

Enfin les Mémoires de Jacques Franck, la mémoire de la Libre Belgique (il y est entré en 1957), mais avant tout le témoin privilégié de trois quarts de siècle de culture, de diplomatie, de voyages, de rencontres, d’amitiés…

Jacques Franck, né en 1931 dans la bourgeoisie anversoise, fait d’abord sa scolarité en flamand avant de la prolonger en français aux facultés universitaires de Namur, puis à l’université de Louvain (il est diplômé en droit). Entré en 1957 au journal la Libre Belgique, il ne le quittera plus (il y donne toujours des chroniques). De la politique belge à la politique internationale, puis à la culture et aux livres, du secrétariat de rédaction à la direction de la rédaction avant de redevenir simple (mais très écouté !) chroniqueur à l’âge où les autres prennent leur retraite, il n’y a que le sport et la finance qu’il n’y ait pas traité…

En librairie le 13 mai

Les premières lignes
Repenser à mon enfance, c’est mesurer l’extraordinaire changement de la société que j’aurai traversé.
Bien que je sois né en 1931, j’ai encore connu le XIXe siècle : allumeurs de réverbères dans les rues du village comme dans un conte d’Andersen ; prairies tondues à la faux dont la large lame coupait ensemble l’herbe et les boutons d’or, comme celle de la Mort indistinctement les riches et les pauvres dans l’imagerie du Moyen Âge ; pains de glace fournis à domicile enveloppés de jute ou de papier ; corbillards tirés par des chevaux empanachés et moi, dans un fiacre, avec mes frères, derrière celui de notre tante Mélanie en juin 1944 ; deux vieilles demoiselles, nos voisines qui survivaient dans des salons qui n’avaient pas changé depuis Madame Bovary ; vicaires précédés d’un enfant de chœur en surplis et muni d’une lanterne qui allaient porter le Saint-Sacrement à des malades, et je fus un de ces enfants de chœur escortant Dieu chez des lupiques au visage atrocement dévoré par des plaques rouges cutanées, dans une maison située à Anvers… rue du Ciel.
Jusqu’à douze ans, j’ai vécu à Boechout, un village près d’Anvers qui ne comptait avant la guerre que six mille habitants, et de nature essentiellement rurale. Mon grand père y avait acquis une maison de campagne, où il se retira définitivement après la guerre de 1914-18. Mon père y vivait avec ses parents. Lorsqu’il se maria en 1930, Maman vint y habiter, et mes frères et moi y avons grandi jusqu’à notre installation à Anvers en 1943. Mes frères jumeaux Pierre et André sont venus me rejoindre en 1933, mon frère Robert en 1936. Cette maison et son grand jardin sont aujourd’hui pour moi le berceau de celui que je suis devenu. Un lieu dans lequel il m’arrive de me retrouver dans mes rêves. Bref, un lieu mythologique. Mon jardin d’Éden à moi. Le Paradis terrestre d’avant la connaissance du bien et du mal.

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Enfin seuls ? – Patrick Dupuis

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Certains l’ignorent, d’autres en rient. Elle est subie, acceptée, recherchée, quittée avec joie ou à contrecœur… Dans son quatrième recueil de nouvelles, Patrick Dupuis explore, par petites touches tristes, drôles ou émouvantes, les multiples facettes de la solitude.

Patrick Dupuis est passionné par la nouvelle, à la fois comme lecteur, comme éditeur (chez Quadrature) et comme auteur. Il nous offre ici son quatrième recueil de nouvelles (le troisième chez Luce Wilquin après Nuageux à serein et Passés imparfaits). En 2013, il a reçu, pour Passés imparfaits, le prix Place aux Nouvelles attribué lors du salon de Lauzerte, manifestation qui, toutes proportions gardées, est à la nouvelle ce qu’Angoulême est à la bande dessinée, dans la mesure où une pléiade de nouvellistes francophones se rassemblent à cette occasion.

En librairie le 13 mai

Les premières lignes
Je venais d’ouvrir. Deux tables étaient occupées, l’une par un vieux couple qui passait tous les matins prendre un café et l’autre par deux amoureux qui se regardaient dans le blanc des yeux au point d’en oublier de boire leur limonade. À part ces quatre clients, le bar était vide. Il faisait frais, le ciel était gris, et je n’avais pas installé la terrasse.
Il est entré sans faire de bruit, a regardé autour de lui et a choisi une table dans le fond. Un homme entre deux âges au costume de bonne coupe et avec une tête à laisser un pourboire. Il s’est assis sur la banquette, a retiré l’écharpe de laine rouge qui lui tournait autour du cou et l’a placée devant lui. De loin, il m’a commandé une bière. Un homme poli qui avait ajouté un gentil « S’il vous plaît » et un sourire. Il avait les yeux bleus.
Je lui ai apporté sa consommation, il m’a remerciée, a trempé ses lèvres dans la mousse blanche… Et puis rien. Il est resté immobile une bonne heure, assis devant sa bière qui tiédissait et perdait sa mousse. De temps en temps, il triturait son écharpe. Son regard revenait régulièrement vers l’entrée du café ; il semblait attendre quelqu’un.
Des gens sont arrivés, des habitués. C’était Françoise par-ci, Françoise par-là. Je servais, j’encaissais la monnaie, je répondais aux plaisanteries grasses des hommes accoudés au comptoir.
J’avais oublié l’inconnu.

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Un endroit d’où partir | 1. Un vélo et un puma – Aurelia Jane Lee

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Enfant trouvé, Juan Esperanza Mercedes de Santa María de los Siete Dolores grandit au sein d’un couvent, puis d’une hacienda où il devient l’élève de Don Isaac, homme érudit au passé mystérieux.
Développant très jeune un talent pour la peinture, mais aussi pour abandonner les femmes qu’il aime, Juan mènera une vie marquée par les ruptures successives, le doute, la culpabilité et la quête du véritable amour.
Un endroit d’où partir raconte le parcours d’un homme et d’un artiste tourmenté par ses choix, mais aussi profondément inspiré, sensible et amoureux, qui bouleverse la vie de tous ceux qui le rencontrent.
Une saga en trois tomes au cœur d’une Amérique latine fantasmée
Un personnage hors du temps et si universel
Des thèmes millénaires : la blessure de l’abandon, la filiation, la foi,…
Deuil des illusions, des amours perdues, de l’enfance,…
Une œuvre mature et très ambiteuse par l’auteur de Dans ses petits papiers

Aurelia Jane Lee (1984) possède un master en communication et a également étudié la philosophie. Elle vit et travaille à Bruxelles. Elle s’est fait connaître en 2006 avec un premier roman intitulé Dans ses petits papiers, salué par la critique et… Alexandre Jardin ! Quatre romans et deux recueils de nouvelles suivront, toujours aux éditions Luce Wilquin.
Un endroit d’où partir, son huitième opus, dévoile une nouvelle facette de son imagination et entraîne le lecteur dans une véritable saga en trois tomes, au cœur d’une Amérique latine fantasmée.
En librairie le 8 avril 2016

Les premières lignes
Juan Esperanza Mercedes de Santa María de los Siete Dolores avait pour surnom Juan del Convento parce qu’il avait passé les premières années de sa vie dans un couvent. On ne savait ni où ni quand exactement il était né. Probablement à la fin de la saison sèche, et dans les environs de l’église Santa María de los Siete Dolores, dans l’entrée de laquelle la mère Esperanza, alors âgée de soixante-quatorze ans déjà, le trouva un beau matin de mars. Son petit corps nu était emmailloté dans un immense drap de lit qui avait dû un jour être blanc ; il hurlait de faim. La mère Esperanza, désemparée, l’avait emmené au couvent en se bouchant les oreilles et le nez avec toute la force du Saint-Esprit, ses doigts n’étant pas libres et le petit – Dieu seul savait depuis combien de temps il était là – ayant souillé le drap.
Lorsque la mère Esperanza était entrée dans la salle à manger avec son paquet de linge jauni et malodorant, les autres avaient tout de suite su qu’il y avait quelque chose d’inhabituel, parce qu’un ballot de draps sales, en aucun cas, ne glapit ni ne s’étouffe en sanglots. La petite chose braillarde et son excrétion puante furent déballées au centre de la table, entre le pot de beurre et le sucrier, et de nombreuses mains s’employèrent à laver l’enfant avec des chiffons doux passés à l’eau froide, comme on aurait nettoyé un petit Jésus de céramique dans l’intention de préparer la crèche. La petite chose avait une autre petite chose entre les jambes qui fit qu’on décida de l’appeler Juan, comme l’apôtre préféré du Christ, qui lui était resté fidèle jusqu’au bout. Un prénom est en effet chose bien commode pour désigner un être vivant.

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Retour à Domme – Françoise Houdart

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« Tu me crois, n’est-ce pas, Oscar, quand je te dis que le petit rouge-gorge n’est pas mort ? » L’enfant avait juré. Il avait assuré qu’il la croyait, Mamie, sa grand-mère adorée ; mais il mentait. Ils mentaient tous les deux, consciemment et par amour. Et c’est à cause de ce mensonge d’amour qu’il se retrouve, Oscar, des années plus tard, dans un village du Sud-Ouest, entraîné malgré lui dans une histoire où ses joies et ses peurs d’enfance se confrontent à l’inquiétant Coulobre de la Dordogne, aux secrets de la vie de Mamie et aux risques qu’il encourt à poursuivre l’oiseau jusqu’aux remparts de Domme.

Traductrice de formation et enseignante, poète, nouvelliste et romancière, Françoise Houdart tente, à travers l’écriture, d’explorer les chemins entre réalité, vraisemblance et fantasmes où marchent, se perdent, se trouvent, s’aiment ou se débattent des personnages qui nous ressemblent. Son œuvre romanesque comprend à ce jour seize titres, tous publiés par les Éditions Luce Wilquin. Le Prix triennal de Littérature Charles Plisnier, attribué en 2014 au roman Les profonds chemins, est venu enrichir un palmarès déjà prestigieux. L’auteur déploie aussi de multiples activités dans les bibliothèques et les écoles.
En librairie le 11 mars 2016

Les premières lignes
Soudain, quelque chose de frais effleure sa peau. Il le perçoit bien, à présent : cela se pose et s’éloigne. Cela lui butine la tempe, le lobe de l’oreille droite. Menus baisers humides. Un souffle tiède fait frissonner les longues mèches éparses sur sa nuque : Oscar écarte les mains de son visage, lentement, très prudemment. Entrouvre les yeux… Le chien détourne la tête en gémissant, comme implorant le pardon de l’homme accroupi dans l’herbe sur le bas-côté de la route, l’homme prostré qu’il avait flairé sans méfiance. « Reste », murmure Oscar. « Reste, je t’en prie. Viens là, le chien. Viens. » Oscar avance la main, mais le chien se rétracte, se lève gauchement sans quitter du regard la main tendue vers lui, hésite, puis disparaît dans la frange buissonneuse du petit bois qui jouxte la route. Un chien sans collier, perdu peut-être. Perdu comme lui. Oscar regarde autour de lui : où est-il ? Que fait-il ainsi recroquevillé sur le côté de la route à deux mètres de sa voiture ? Pourquoi a-t-il brusquement quitté son véhicule en laissant grand ouverte la portière côté chauffeur ? Une route déserte, pense-t-il, dans ce no man’s land entre deux nowhere. N’aurait-il pas remarqué un panneau signalant l’interdiction formelle d’emprunter cette route ? Zone militaire ultra prohibée ? Zone d’expérimentations scientifiques ? Mais alors, les champs de blé ?… Et les immenses pâturages qui coulent vers le creux de la combe ? Et le bois tout palpitant d’ailes et de furtifs remuements ? Non, la réalité ne peut qu’être banale.

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Vivement ce soir… – Liliane Schraûwen

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Pourquoi devient-on psy ? Thomas ne se pose pas la question, même si…
Un lundi comme les autres. La première journée de la semaine, la plus longue. Neuf patients à rencontrer, à écouter, à tenter d’aider. Neuf ? Pas sûr, car Hélène Favereaux a décidé de ne pas venir et s’en explique dans une lettre qu’elle adresse à monsieur Quarante Euros. Dans l’enveloppe, elle ajoutera les notes qu’elle a prises au fil de leurs rencontres.
Lui, de huit heures à dix-neuf heures trente, doit recevoir l’insupportable monsieur Piérard, puis Laurent, Marisa Duzel, monsieur Stevens, Sylvia, John, Myriam Mazury, madame Bertram et, enfin, madame Favereaux. Tous différents, tous en souffrance. La plus jeune a dix-huit ans, Hélène Favereaux atteint l’âge de la retraite.
Thomas, par moments, perd le contact. Il pense à Alexia, son amour, qu’il se plaît à imaginer face à ses élèves, en classe de maths. Il plonge dans son propre passé. La journée s’écoule, lentement. Il attend le soir, il attend le retour d’Alexia. Mais la vie, parfois, organise d’autres rendez-vous.
Liliane Schraûwen, également auteur pour adolescents, a signé plusieurs recueils de nouvelles et des romans pour adultes, dont le remarqué La fenêtre (1996), Prix littéraire de la Communauté française de Belgique, et Lignes de fuite (2012).
En librairie le 12 février 2016

Les premières lignes
Thomas tâtonne vers le téléphone portable posé sur la table de nuit et réglé pour sonner à sept heures. Comme souvent, une sorte d’instinct l’a averti juste avant le déclenchement de l’alarme. Il jette un regard au radioréveil, sur l’autre table de chevet, du côté d’Alexia. Presque sept heures, en effet.
Il s’offre quelques instants de répit, entre rêve et cons­­cience, afin de s’éveiller tout à fait, à son rythme. Lundi. La première journée de la semaine, la plus longue aussi, la plus lourde. Premier rendez-vous à huit heures. Juste le temps de se lever, de faire sa toilette, de se raser, d’avaler un café brûlant avant de descendre les deux étages qui le séparent du cabinet, au rez-de-chaussée.
Il soupire, se tourne vers Alexia qui dort encore, le visage à demi caché sous les cheveux. Il lui adresse un regard tendre qu’elle ne saura jamais, se penche sur elle, écarte une mèche, caresse des yeux le velouté d’une joue, l’arête fine du nez, la bouche… Il ne résiste pas, pose un baiser léger au coin de ses lèvres.

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Vertigineuse – Françoise Pirart

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Il y a parfois des rencontres magiques. Qui vous subliment, font de vous un être plus beau, plus fort, presque invincible.
Quand Siri, jeune illustratrice pour enfants, croise Dorian pour la première fois lors d’une de ses visites dans un centre pénitentiaire en Belgique, elle est loin de se douter que leurs chemins se rejoindront pour le meilleur et pour le pire. Une liaison tumultueuse qui pourrait bien la mettre en danger.
Qui se cache derrière les traits du séduisant Dorian Kova­levski au regard énigmatique ? Entre les étreintes furtives, les silences partagés et les secrets difficilement avouables, Siri devra déployer toute son obstination pour lever le voile sur le passé trouble de son bel amour, sa déchirure. Un voyage intérieur qui, le temps d’un été brûlant, la mènera jusqu’en Oklahoma.
Ce roman pose des questions essentielles sur la violence de notre société et sur la peine capitale. Mais il est avant tout l’histoire lumineuse, vertigineuse, de deux êtres solitaires épris de liberté.
Romancière et nouvelliste, Françoise Pirart prête aussi sa plume à ceux qui souhaitent laisser un témoignage de vie. Elle enseigne le français à des élèves d’origine étrangère à Mons en Hainaut.
En librairie le 12 février 2016

Les premières lignes
De cet été sauvage, elle garderait le souvenir éclatant de leurs corps nus et brûlants dans la pénombre de la camionnette.
Ils se retrouvaient à l’orée d’un bois, sur un espace dégagé presque désert, semblable à une clairière. Lui devait l’attendre depuis longtemps déjà, mais bien entendu, il prétendrait qu’il venait d’arriver. Pourtant combien de fois ne lui avait-elle pas répété qu’entre eux l’orgueil n’avait plus sa place ? Avec un vague sentiment de culpabilité, elle garait sa voiture. Les mains moites, un filet de sueur entre les seins, elle avançait vers la camionnette bleue, rempart qui semblait les protéger des regards indiscrets. Il lui tendait les bras, la soulevait pour l’aider à monter. Elle s’efforçait de rester droite, raide et fière, absente de toute émotion, avant de s’abandonner. Ils se fondaient l’un dans l’autre, elle se savait belle, aimée, elle murmurait son prénom, Dorian, Dorian, Dorian. Mais la suite, non la suite, je ne crois pas qu’elle puisse être décrite par des mots.

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Et dans la jungle, Dieu dansait – Alain Lallemand

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Marre de la crise et des égoïsmes, assez de cette surconsommation, des délires sécuritaires et des bâtisseurs de prison. Théo et Angela n’ont qu’un demi-siècle à eux deux, mais pour changer la société, ils ont compris qu’il ne suffit pas de s’indigner. Il faut cogner. Fascinés par la dernière des guérillas, ils gagnent la forêt tropicale de Colombie : ¡ Viva la Revolución ! Mais…
Un homme, une femme, un jardin d’Éden. L’arbre de la connaissance du Bien et du Mal. Et l’amour.
J’aime à me rappeler que cette étrange histoire a commencé en un lieu pas trop éloigné de l’idée de paradis, un magasin de lingerie au cœur de Bogotá, Colombie.

Et dans la jungle, Dieu dansait est le troisième roman d’Alain Lallemand. Il y poursuit la description d’un monde contaminé par les conflits, où l’humanité devient un mode de résistance. Grand reporter au « Soir » de Bruxelles, ses reportages en Colombie lui ont valu le prix européen Lorenzo Natali.
En librairie le 22 janvier 2016
[Voir l’excellent dossier consacré à ce roman et l’interview de l’auteur dans l’hebdomadaire Le Vif du 15 janvier.]

Les premières lignes
Voici l’histoire du ciel et de la terre quand ils furent créés, lorsque l’Éternel eut fait une terre et un ciel.
J’aime à me rappeler que cette étrange histoire a com­­mencé un jour d’Épiphanie, fiesta de los Reyes, dans un lieu pas trop éloigné de l’idée de paradis. Un magasin de lingerie au cœur de Bogotá, Colombie.

– Por favor… Vous auriez un rayon de très grandes tailles, 110 à 120 cm, bonnets D ou E ?
La vendeuse ne put retenir un regard étonné, posé avec dédain sur le torse d’Angela, l’iris inquisiteur ouvert comme un pied à coulisse. L’air de ne pas y regarder, son œil rond palpait déjà la poitrine discrète de la cliente.
– 120D, c’est pas pour vous, ça. C’est pour réparer un airbag ? Pour utiliser comme sac à main ?
Non, la vendeuse ne l’a pas dit. Mais Théo, lui, l’a pensé si fort que, miracle mnémotechnique, il n’a plus jamais oublié le digicode de l’appartement colombien d’Angela. 120D. La Colombie est le pays de la démesure.

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André Sempoux – L’écrit bref : comme givre au soleil – Ginette Michaux

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André Sempoux, né en 1935, est poète, nouvelliste et romancier. Il a reçu en 2007 le prix Italiques et en 2010 le prix Alix Charlier-Anciaux, de l’Académie de langue et de littérature françaises de Belgique, pour l’ensemble de son œuvre de fiction.
Le contraste, favorisé par l’écriture brève, entre le rythme rapide de la narration et la densité de prenantes évocations lyriques caractérise l’art d’un maître du suspense. Les nouvelles aux chutes surprenantes et les romans intimement marqués par l’Histoire ne cessent d’être habités par le souffle libéré du poème.

Professeur émérite en lettres françaises de l’université de Louvain, Ginette Michaux signe ici le premier ouvrage portant sur l’ensemble de l’œuvre littéraire d’André Sempoux.

En librairie le 22 janvier 2016

Les premières lignes
André Sempoux témoigne, dans sa Chaire de Poétique, du silence et de la solitude qui accompagnent trois moments de trouble et d’étrangeté vécus au cours de l’enfance.

Premier moment
À la Toussaint, lendemain de l’anniversaire d’André (il est né le 31 octobre 1935), son père et lui traversent côte à côte une zone de sablonnières pour l’arrêt de quelques minutes dans un cimetière – plus tard désaffecté –, devant un rectangle de gazon qui n’est marqué d’aucun nom.

Second moment
Vers l’âge de huit ans, André feuillette l’album familial et contemple les photographies qui le montrent en compagnie de sa mère ou de ses parents. Mais on a découpé la moitié inférieure de l’une d’elles. Sur la photo mutilée, la mère, souriante, est tendrement inclinée vers un vide. L’enfant se demande pourquoi seul le visage de celle-ci a été gardé. Il a le pressentiment d’un secret et se tait.

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