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André Beem – Loxias

Un homme consacre la plus grande part de sa vie à étudier l’oeuvre d’un philosophe ancien, dont on ne possède que de rares fragments et dont l’existence même a jusqu’alors été plus d’une fois niée par des savants, pour découvrir sur le tard que sa propre existence lui échappe et, n’ayant en somme eu d’autre témoin qu’elle-même, ne pourra pas davantage être jamais prouvée. Il ne s’est pas vu vivre, il doute d’avoir vécu. Les collègues qui, au début de sa carrière, pour le taquiner, regrettaient de voir ce jeune professeur enthousiaste consacrer tant d’efforts et de temps à controuver un Loxias qui, selon eux, n’était qu’une ingénieuse mystification ne se trompaient qu’à demi : grâce à lui, il s’inventait chercheur et penseur lui-même, à l’instar de ces artistes qui peignent ou écrivent dans le seul but de devenir peintres ou écrivains, ou à tout le moins passer pour tels et pouvoir s’admirer sous ce nom.

Les premières lignes
Je sais à présent que je ne terminerai pas mon étude sur le Pseudo-Loxias, et que je ne publierai pas davantage l’édition de ses fragments à laquelle je travaille depuis tant d’années. Je devrais en ressentir de l’amertume ou du chagrin, et n’éprouve qu’un sentiment de vide, pareil, peut-être, à celui d’un prisonnier à qui une trop longue captivité, pendant laquelle il rêvait à la liberté, lui en a ôté non le goût, sans doute, mais l’usage, en sorte qu’il la trouve inutile, absurde, sans saveur, le jour qu’elle lui est rendue, parce qu’il n’en sait que faire dans un […]

André Beem – Portez cela plus loin

Réflexions, philosophie, sagesse ? Qu’importe : lisez cet enseigneur, offrez ce livre, parlez-en, car je n’en dirai pas plus tellement c’est à lire. L’un des plus enrichissants ouvrages de cet auteur, discret mais lumineux. Jean-Marie Luffin, Parole ! André Beem traite l’orgueil comme il le mérite. C’est-à-dire comme ce poisson japonais dont il faut soustraire un organe pour que, de mortel, il devienne exquis. D’où cet art, typiquement « beemien » de feindre, à la faveur de jeux anodins ou même dérisoires, que l’auteur est là par hasard et que, d’ailleurs, il n’a rien à dire. […] redoutable lucidité et regard sur notre temps qui pourrait être aussi celui d’un Épicure (le compliment n’est pas mince)… Ghislain Cotton, Le Vif / L’Express

Les premières lignes
Maître Soixante-douze ne nous a laissé aucun écrit. Nous ne savons donc rien qu’il ait expressément désiré nous confier. Son existence ne nous est connue que par deux de ses disciples, Fou-Chou et Li-Men. On a donc pu la mettre en doute, d’autant que les deux disciples ne s’entendent guère, comme il advient, chacun prétendant seul nous rapporter la vérité sur son maître et, seul à détenir sa pensée, seul à l’avoir saisie, s’affirmant seul nous la transmettre fidèlement. En fait, ils nous livrent des témoignages qui, sans vraiment se recouper ou se contredire, […]