Si près de l’aurore – Daniel Charneux

Parfois, un astronome découvre dans le ciel une petite planète. Il la nomme, la décrit, publie à son sujet. Elle n’avait jamais été remarquée, car elle se tenait dans l’ombre d’un astre qui l’éclipsait, mais elle était bien là, pareille, avec toute son histoire amorcée depuis la nuit des temps, ses ères géologiques, ses volcans, ses glaciations, son étrange et banal paysage de petite planète. Quelques mois après la disparition du jupi­térien Henry VIII, la petite planète Jane Grey entrait dans la lumière. Car elle n’était rien moins que troisième dans l’ordre de succession.
À moins de quatorze ans, humaniste accomplie, Jane Grey amorce une correspondance en latin avec le réformateur suisse Heinrich Bullinger et lit Platon dans le texte grec. Et tout ça dans un cadre historique passionnant : la Renaissance, l’humanisme, l’Angleterre des Tudors…
Dans ce roman, Daniel Charneux conte l’histoire de cette jeune fille si brillante qui sera reine d’Angleterre durant neuf jours, devenant malgré elle l’enjeu d’une vaste et cruelle partie d’échecs.

Daniel Charneux donne ici son huitième roman, le sixième publié aux éditions Luce Wilquin. Ses écrits ont été primés ou remarqués par les jurés de nombreux prix littéraires, à l’image de Norma, roman, prix Charles Plisnier 2007, et de Nuage et eau, finaliste du prix Rossel en 2008.
En librairie le 31 mai 2018

Les premières lignes
En ce temps-là, Dieu était partout et toujours.
Dans les églises et les chapelles, dans les abbayes, dans les monastères, de matines à laudes, de vêpres à complies, des moines embusqués sous leur capuce et des chantres à bedon rond chantaient son nom.
Les oiseaux le louaient dans les parcs et les bois, et les poissons dans les ruisseaux et les rivières, et les cristaux dans chaque pierre ancrée en terre ou roulée, jour après jour depuis la nuit des temps, au lit des cours d’eau qui dessinent leur résille sur la carte d’Angleterre, comme sous la peau le bleu réseau des veines.
Il était de jour, il était de nuit, dans le disque pâle de la Lune, dans chaque étoile piquée sur le cachemire du ciel, dans la brume de la Voie Lactée qu’en ce temps-là, non envahi de lumières factices, vous auriez contemplée comme, aujourd’hui, vous ne l’admirez plus qu’en quelques déserts épargnés où Dieu s’est réfugié dans les replis du sable.
Il était dans l’œil de la biche et dans le raire du cerf, en cet automne de l’an 1537, au cœur de la vaste forêt de Charnwood où les grands ormes peu à peu se dépouillaient de leurs feuilles roussies. C’était octobre. Le 12, à Londres, deux mille coups de canon avaient ému le ciel, saluant la naissance d’un héritier royal, car il avait plu à Dieu de donner au roi Henry, huitième du nom, ce fils tant attendu qu’il baptiserait Edward et qui, quelque jour, perpétuerait la lignée des Tudors.
Le futur Edward VI vagissant dans sa bercelonnette, faiblement, gracilement, sa mère à ses côtés, Jane Seymour, la reine, sa mère épuisée, sa jeune maman primipare aux lèvres minces, aux joues rondes, blonde de poil et de peau, grelottant sous la sueur, servantes remuantes épongeant de lin blanc le sang épais qui lui poissait les jambes. Dans les intermittences de la fièvre, elle prierait Dieu ; les servantes aussi, et son mari le roi, et l’archevêque Cranmer, tous supplieraient ce Dieu qui ne ferait pour elle rien d’autre que la rappeler à lui, douze jours plus tard, et souffler à une autre mère ce prénom, Jane, pour la petite fille née quelques jours après Edward, à Bradgate House, dans le Leicestershire.

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