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Jozef Deleu – Citoyen de la frontière

Fondateur et rédacteur en chef, de 1957 à 2002, des revues Ons Erfdeel (Notre Patrimoine) et Septentrion (celle-ci en langue française avec de nombreux abonnés en France), Jozef Deleu (né à Roulers en 1937) n’a cessé de jouer un rôle de premier plan dans la vie culturelle de la néerlandophonie. Les deux textes réunis ici appartiennent à la production intimiste de l’écrivain. Les Éditions Luce Wilquin ont déjà publié deux de ses ouvrages en français : un recueil de poèmes intitulé «Les lièvres s’attroupent» (coll. Luciole) et un roman traduit par Liliane Wouters, «Lettres à l’autre rive».

«Citoyen de la frontière» nous parle d’hommes et de femmes qui, à des titres divers, furent tous marqués par des frontières : Marguerite Yourcenar, le grand-père de l’auteur marié à une Française, son père, les émouvantes Francine et Cécilia,… «La Normandie de mes rêves» raconte comment, au début de la Première Guerre mondiale, les grands-parents maternels de Jozef Deleu et leurs onze enfants ont abandonné leur ferme située dans la zone des combats et trouvé refuge dans des familles d’accueil en Normandie.

Les premières lignes
Au moment où l’express Anvers-Amsterdam fonçait littéralement au-dessus des grands fleuves et que, subjugué, j’observais en bas le cours impétueux de l’eau, Cécilia a quitté ce monde, en route vers une destination inconnue. Elle a réintégré le silence dont elle était issue, il y a quatre-vingt-cinq ans. Jamais auparavant le mouvement de l’eau ne m’avait autant fasciné. Il éveillait en moi la sensation douloureuse de la fugacité et de l’irréversibilité du temps qui passe. C’est à ce moment-là que Cécilia a dû mourir. L’annonce de sa mort m’a bouleversé. Le faire-part de décès m’invite à « suivre la famille » bien que je n’en fasse pas partie.

Jozef Deleu – Lettres à l’autre rive

Jozef Deleu, né en 1937, est une figure emblématique de la vie culturelle flamande. Depuis plus de trente ans, la fondation Ons Erfdeel lui permet d’en offrir un reflet vivant au public français, notamment à travers la revue Septentrion. Cet homme de dialogue, qui n’hésite toutefois pas à stigmatiser les défauts et les tares du monde culturel et artistique de la Belgique flamande et des Pays-Bas, est également un romancier et un poète remarquables. Son roman «Lettres à l’autre rive», magistralement traduit en français par Liliane Wouters, permet d’apprécier son style tout de pudeur et d’émotion contenues.

« Je veux t’écrire, je veux te parler par papier interposé, bien que je ne puisse espérer de réponse. Peut-être pourras-tu me conseiller, me dire comment m’y prendre maintenant que j’ai trente ans. De toute façon, toi, tu veux bien m’écouter sans rien dire, tu veux bien jouer le jeu, m’aider à reconstituer le puzzle. » Au lendemain de son trentième anniversaire, le narrateur éprouve le besoin d’écrire à son grand-père. Pour faire le point, pour donner vie à ses souvenirs, pour lui raconter son quotidien… Il écrira six lettres, toutes plus émouvantes les unes que les autres. Mais son grand-père ne peut bien sûr lui répondre, il est sur « l’autre rive »…

Les premières lignes
Hier, j’ai eu trente ans et j’ai pris la résolution de t’écrire aujourd’hui. À présent que les enfants sont couchés, la maison est tranquille. Les eaux sont hautes, tout autour – les poules d’eau y jouaient encore il y a peu, comme si elles avaient toujours vécu ici. Cette décision, je l’ai prise tout à l’heure, étendu sur mon lit. Je ne savais pas trop ce qui me chiffonnait quand, soudain, je me suis mis à penser à toi. Je vais écrire, dis-je à ma femme. Elle a souri; elle ne m’en veut pas quand je la laisse seule. D’habitude, je m’enferme dans mon cabinet de travail. Mais pour t’écrire à toi, je ne l’ai pas fait. Toi, d’ailleurs, tu n’as jamais eu de cabinet de travail. J’ai pris un gros cahier quadrillé et me voilà assis. J’ignore toujours ce qui va m’inspirer, celui qui ne se trouve pas, comme moi, sens dessus dessous avec lui-même, jugera sans doute la démarche banale, trop simplement humaine peut-être, en tout cas décousue, pour ne pas dire incohérente.

Jozef Deleu – Les lièvres s’attroupent

Jozef Deleu, né en 1937, est une figure importante de la vie culturelle flamande. S’étant donné pour tâche de diffuser la culture, et particulièrement l’art et la littérature de la communauté néerlandophone, il lança en 1957 Ons Erfdeel (Notre patrimoine), une revue fonctionnant comme trait d’union entre Flamands et Néerlandais. Cet homme de dialogue, mais qui a su garder son indépendance, se manifeste à l’occasion comme intellectuel de choc et l’on voit naître alors sous sa plume des essais, des discours, des textes polémiques qui stigmatisent les défauts et les tares de la vie culturelle et artistique de la Belgique flamande et des Pays-Bas.

Jozef Deleu joue ici des ressources de sa langue avec une étonnante sobriété. Tout, chez lui, tend à la décantation, au refus de l’inflation langagière et donc à la suppression du moindre vocable superflu. Il crée de la sorte une musique qui ne vise jamais à la somptueuse orchestration polyphonique, mais égrène, pose, l’une après l’autre, ses notes, leur donnant ainsi le temps d’émettre leurs vibrations les plus profondes.