Archives de catégorie : Publications

Singulière agape – Ethel Salducci

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Une escapade improvisée à Venise ou le long d’un canal parisien, une peur d’enfant exorcisée, la paix trouvée loin de chez soi, une grille de scrabble comme terrain de jeu, la vie qui se pose au coin de la rue, une photo d’identité qui suit l’état de l’âme, un époux volage rêvant de revoir sa femme, une existence construite sur l’absence, des poissons qui l’emportent sur un repas de famille, un écrivain fatigué surpris par la vitalité de son personnage, un manuscrit égaré qui retrouve son auteur, la tendresse d’un ouvrier bourru pour son comparse, l’émerveillement au réveil, un festin en solitaire… Quinze trajectoires, que l’on suit l’espace d’une heure, d’une nuit ou d’une vie.
Que Pierrette se remette en question à l’approche de la quarantaine ou que Suzanne se réapproprie la fin de sa vie, qu’Anthelme se joue des tours ou que Jules tire sa révérence, tous ces personnages avancent sur le chemin qui est le leur. Si la démarche est parfois hésitante, le mouvement est amorcé et mène à soi.
Quinze situations, autant de trajectoires… Impressions, souvenirs, sensations pour raconter la vie, tout simplement
En librairie le 6 mars

Les premières lignes
Les propos anodins qu’échangent trois femmes à la table voisine remplissent Pierrette d’une froide colère.
Il s’agit de savoir où chacune achète sa viande et à quel prix, puis de passer en revue les méthodes employées pour dater l’opération sur les sachets plastique, après congélation.
Comment un tel échange peut-il la mettre hors d’elle ? Le sujet n’est certes pas excitant, mais de là à en concevoir de la rage !
N’est-ce pas plutôt ce que Pierrette entrevoit de la vie de ces quadragénaires qui la met si mal à l’aise ?
Employées de bureau depuis toujours, elles n’ont certainement pas renoncé pour autant au rôle de ménagère accomplie hérité de mères parfaites. Elles se doivent de rendre leur foyer agréable pour tous : maris, enfants ou cochons d’Inde.
Mais de quel temps, de quelle énergie disposent-elles pour mener à bien leur tâche ? Est-il concevable qu’elles soient inspirées au bureau et chez elles, ou faut-il plutôt croire qu’elles ne le sont nulle part ?
Pierrette a mal au crâne, comme s’il se fendait sous la pression de milliers d’aiguilles.
Elle-même, que fait-elle de sa vie ? Vers quel but prétend-elle tendre ? Quelle trace laissera-t-elle, qui n’inscrit pas même de date sur des sachets plastique ?
Bien sûr, il y a les petites têtes blondes de Louis et de Jeanne ! Ces deux enfants, ses trésors comme elle les appelle, sont sans doute sa plus belle réussite.
Cette expression lui fait horreur. Qui pense ainsi ? Qui jauge sa vie en termes de réussite ou d’échec ? Qui la juge de la sorte, Pierrette, trente-sept ans, deux fois maman, cadre, compagne de Simon qu’elle ne connaît plus guère, bonne nageuse, excellente danseuse, autoritaire mais tellement à l’écoute, etc. ? Qui sinon elle-même ?

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Dans le bleu de ses silences – Marie Celentin

Et le voici, le 500e titre des Éditions Luce Wilquin !
Un premier roman étonnant, tant par son sujet, les genres abordés, la maîtrise du style que par… son épaisseur !
Un défi pour la jeune auteure (à suivre, sans conteste) et un bonheur pour nous !

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Nous sommes au IIIe siècle avant notre ère, au début de l’Égypte des Ptolémées. Cinquante ans plus tôt, Alexandre le Grand est mort prématurément, léguant un monde nouveau à ses compagnons d’armes et aux milliers d’aventuriers qui l’ont suivi dans sa flamboyante conquête de l’Orient.
L’histoire d’Alexandrie ne fait que commencer. Pour tous ceux qui y vivent, elle est déjà une légende.
Comme nous aujourd’hui, Bérénice, fille du roi Ptolémée Philadelphe, Titus le Romain, Ptolémée lui-même, Zénon, Nathanyah, Diounout et tous les autres sont alourdis par le poids des traditions et des souvenirs qui leur ont été transmis, modelés par leur temps et leur histoire familiale. Ils sont en quête de bonheur et parfois capables, au détour d’une rencontre, à la faveur d’une coïncidence, de sublimer leur destinée et de conquérir leur liberté.
Un premier roman construit comme une tragédie grecque
En librairie le 6 février

Les premières lignes
«…Les choses étant ce qu’elles sont et la science tâchant obstinément d’appréhender l’ensemble de ce qui est, un individu doté d’intelligence n’aura nulle peine à concevoir que les caractéristiques des excréments ne soient pas seulement déterminées par la taille de ceux qui les produisent, mais que leur texture comme leur aspect dépendent avant tout de la nature des aliments ingérés, puisque, comme vous le savez, ces derniers en constituent une sorte de résidu… »
Ainsi pontifiait Nebka, esclave de son état et bavard par mimétisme intermittent avec tous les autres habitants d’Alexandrie. Tout récemment – et officieusement – promu chef de l’équipe de nettoyage de la Voie Canopique, il orchestrait la chorégraphie des brosses et des pelles qui raclaient le sol et dont les crissements cadencés montaient vers le firmament scintillant. Autour de lui s’affairaient ses subalternes d’une seule nuit, aussi esclaves que lui et pareillement égyptiens. Comment en effet une tâche aussi vile eût-elle pu incomber à une autre ethnie qu’à celle des indigènes ? En dépit du caractère ingrat de ladite tâche, Nebka prenait ses responsabilités très au sérieux, ce qui ne l’empêchait nullement d’ergoter tout en jouant de la balayette : « Ce raisonnement peut évidemment être appliqué en sens inverse : de l’observation des déjections, on peut aisément déduire l’espèce du producteur. En d’autres termes, mon cher Oubainer, je suis au regret de devoir te corriger : cette matière fécale qui t’intrigue ne peut en aucun cas avoir été produite par un oryx. J’en veux pour preuves les indices suivants : … »

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Un léger désir de rouge – Hélène Lépine

498blog

À vingt-huit ans, l’acrobate Toulouse combat un cancer. Son corps souple et délié l’a trahie, et son amoureux l’a lâchée pour en rattraper une autre au trapèze. Ablation, traitements, chimio… Elle tente alors de se retrouver sur la terre de ses ancêtres, dans la maison de son enfance sur l’île d’Orléans, auprès des siens si différents et si peu communicatifs. De renouer avec le désir, surtout. Plongée dans les carnets de l’ancêtre explorateur, elle en vient à écrire des lettres toutes en sensations à un jeune Africain imaginaire, qu’elle appelle Moumbala.
Un roman traversé par la grâce, où la beauté est partout, et la métaphore, reine
Une voix originale de la littérature québécoise
En librairie le 6 février

Les premières lignes
Moumbala, je ne te connais pas, tu es un nom qui m’est resté d’un rêve. Je t’imagine là-bas, au Sénégal. Tu as peut-être vu le jour sur la rive du fleuve Casamance ou sur celle du Siné-Saloum. Je me nomme Toulouse. Mon frère Delhi disait Toulouse-born-to-lose, sans savoir qu’à vingt-huit ans j’aurais perdu un sein, mes ailes de trapéziste, et Odilon mon amour.
Moumbala, je connais les chants nègres de ton pays. Petite, je les entendais le soir. Ils flottaient, vapeurs sonores, voyageuses, au-dessus du fleuve froid qui charrie ses eaux glacées ici même, devant la maison familiale. Ils s’élevaient et je m’approchais de la fenêtre pour mieux les écouter. Louvaine, ma presque sœur, me traitait de folle. Tu entends des voix, disait-elle en répétant les mots des aînés. Sûr, j’entendais des voix, celles des pêcheurs de la Casamance.

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Pourquoi cette puissance… – Françoise Lalande

499blog

Le narrateur de ce roman tente de transmettre à deux jeunes Parisiens ce qu’il sait de Germain Nouveau, dont il fut l’ami le plus proche les dix dernières années de sa vie. Mais que sait-on des autres ? Le narrateur, comme tous les témoins, comme tous les « Je l’ai très bien connu », quand il ne sait pas, invente.
Germain Nouveau avait décidé de consacrer sa vie à l’amour, à la poésie et à Dieu. Trois domaines qui relèvent de l’infini. Or, l’infini… De sorte qu’il vivra des amours bricolées, ne sera connu que de rares initiés et brûlera sa folie aux porches des églises de France et du Liban. Un temps à Paris, il fréquentera Charles Cros, Verlaine, divers cercles de poètes. En 1874, il accompagnera Rimbaud dans un mystérieux voyage à Londres. Il poussera ses curiosités de nomade jusqu’en Orient avant de revenir dans le village de sa naissance dans le Var. Il fut beatnik à une époque où le mot n’était pas encore inventé.
Un roman d’une liberté joyeuse, à l’image de Germain Nouveau qui signait certains textes sous le pseudonyme La guerrière et qui se qualifiait en amour de Toutou de sa Niniche.
En librairie le 6 février

Les premières lignes
Toujours, c’est de son odeur dont nous nous souviendrons, ce jour-là, le 7 avril 1920, nous avons dit ce n’est pas normal, nous trouvions tous qu’il sentait mauvais quand nous le croisions sur la route, des effluves douçâtres annonçaient son arrivée, des fumets singuliers flottaient longtemps après son passage, mais ce n’était pas important, nous-mêmes nous ne fleurions pas tous la rose, c’est sûr, mais vraiment depuis quelques jours, on ne l’avait plus aperçu, sa maison commençait à trop fleurer le bouc, alors nous avons dit ce n’est pas normal, et nous en avons parlé au maire, comme si une inquiétude nouvelle nous rongeait, nous les habitants de Pourrières, le maire lui-même s’est montré préoccupé, une odeur comme celle-là, ce n’était plus de l’ordre de l’étable aux brebis, il y avait une nuance humaine dans cette odeur putride, c’était gênant, moins pour le nez que pour l’âme, vous comprenez ce que je veux dire ?

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Notre rentrée littéraire d’hiver

Hiver2015blog

Zebraska – Isabelle Bary

495blog

Martin Leroy, quinze ans six mois et vingt-deux jours, vient de recevoir un étrange cadeau : un paquet de feuilles reliées. Il croit d’abord à une farce – on ne lit plus de livres en 2050 –, mais lorsqu’il découvre sur la première page la dédicace À mon petit zébron Marty, il est pris d’un véritable tremblement. Au risque de paraître ringard, il entame clandestinement la lecture de ce texte qui dévoile la vie mystérieuse et bouleversée d’un enfant Haut Potentiel dans les années 2010 et celle de sa mère touchante et burlesque à la fois… Il comprend peu à peu qu’il n’est pas étranger aux secrets bien gardés que renferme le récit.
On les appelle HP, HPI, surdoués, précoces, zèbres… Comme la plupart d’entre nous, Isabelle Bary ignorait tout de leur monde extra-ordinaire avant d’y être inopinément plongée. À l’abri de toute prétention, avec tendresse, humour et fantaisie, Zebraska tente de démystifier ces enfants pas comme les autres, menottés à des clichés fumistes et si souvent incompris.
Un roman où se reconnaîtront en souriant tous les parents soucieux de léguer tant bien que mal leur héritage à leurs enfants.
En librairie le 17 octobre

Les premières lignes
Je ne sais pas très bien par où commencer…
C’est déjà un commencement, non ?
En tout cas, ce livre est né quand j’appartenais encore à la catégorie de ceux qui n’arrivent pas à poétiser leurs privilèges. Vous voyez ? Non ! Eh bien, un peu le genre de type qui prend la vie pour un handicap et qui se complaît dans cette insatisfaction. C’était il y a trois mois, la veille de ce Noël 2049. Mon père était entré dans ma chambre, l’air sérieux et doux à la fois, une mixture étrange dont il détient le monopole, en prononçant mon nom comme on entame une déclaration : Martin…
À l’évidence, je m’appelle Martin (un nom classique qui ne suppose aucune association stupide, merci papa, maman !). J’ai quinze ans. Je suis né le 24 mai 2035. C’était un lundi. Je le sais, je hais les lundis ! Ils sont brun foncé, larges comme des tunnels dans lesquels on est forcés de s’avancer. Quand j’épelle les lettres dans ma tête (l-u-n-d-i), cela m’emplit d’angoisse. Ce n’est pas pareil pour samedi (qui est jaune canari) et dont les syllabes sentent bon. Il paraît que la majorité des gens ne voient pas le monde comme moi. Comment je le sais ? On me l’a expliqué (tympanisé !) depuis que je parle (et j’ai parlé tôt), j’ai compris le principe (je comprends vite), et enfin, j’ai admis (ça, ça a été un peu plus long). Alors, on (moi surtout) s’est adapté. Il paraît que tout ce cheminement est très important.
Ma mère est belle et drôle et futée. Mon père ? C’est Dieu en personne !
Vous voyez le tableau ?

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Le zilien – Luc-Michel Fouassier

496blog

Survie et triomphe d’un enseignant dilettante
Présentation de jean-Philippe Toussaint
Dans ce roman résolument impertinent, qui nous décline l’année scolaire d’un enseignant remplaçant, l’humour – comme instrument de résistance aux casse-pieds en tout genre – joue pleinement sa partition.
Luc-Michel Fouassier, également nouvelliste, est déjà l’auteur de deux romans parus aux éditions Luce Wilquin. Il exerce, en région parisienne, le métier de professeur des écoles ASHP (À Ses Heures Perdues).
En librairie le 17 octobre

Les premières lignes
Tout commençait moyennement. Il était affecté à titre provisoire, une année scolaire tout de même, à un poste de remplaçant ZIL rattaché à une école élémentaire de banlieue pour y effectuer cent pour cent de service. L’école Charles-Péguy, sorte de parallélépipède rectangle bleu (volume = base x hauteur) qui possédait onze classes dont quatre cours moyens – mais il subodorait que les onze classes le fussent toutes, moyennes – s’enorgueillissait d’avoir une BCD, bibliothèque centre de documentation, et cinq ordinateurs poussiéreux pour lutter contre l’échec scolaire par la différenciation pédagogique appliquée aux nouvelles technologies. Le directeur – c’était le portrait craché de Fernandel – n’avait plus que trois années à faire (bientôt la quille, disait-il).
Il était donc zilien et mesurait un mètre soixante-quinze, une taille moyenne.

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Ma plus belle déclaration de guerre – Alain Lallemand

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Alors que pleuvent les premières bombes d’un nouveau conflit qu’il lui faudra soigner, le médecin urgentiste suisse Roch Aebi déclare sa propre guerre : il veut divorcer, retrouver un peu de liberté pour mieux s’engager face aux guerres qui se multiplient. Il n’est pas peu fier de son fils Victor, qu’il veut voir grandir, mais il nourrit un projet humanitaire inouï : négocier avec le chef des talibans afghans Mollah Omar l’ouverture d’une maternité à l’occidentale en plein cœur de la zone insurgée.
Le médecin se lance à l’aventure : il gagne la terre natale de Mollah Omar, noue un contact avec les insurgés, défie les chefs de guerre, trafiquants de drogue, troupes régulières et forces spéciales, ainsi que les agents occultes de renseignement. Inépuisable, Roch essuie son lot de défaites lorsque l’une d’elles le submerge : son fils Victor a disparu…
Roman d’amour et d’aventure, roman filial, Ma plus belle déclaration de guerre nous emmène des déserts et caches troglodytiques du Sud afghan aux sommets enneigés de l’Hindu Kush, des forêts impénétrables du Pakistan tribal aux pics vertigineux des Alpes suisses en passant par les eaux lumineuses du Golfe d’Aden. Pour y explorer une question brûlante : comment relever périls lointains et défis intimes, être à la fois père attentif et digne citoyen de l’univers ?
En librairie le 19 septembre

Les premières lignes
L’homme était pieds nus, plaqué au sol, un jeans à peine enfilé, le hurlement de la guerre à sa fenêtre ouverte. Du deuxième étage de l’hôtel, dans une chambre ni au sol ni aux cieux, réfugié dans la seule encoignure de murs porteurs, il attendait le dernier pilon, l’estompement du séisme, ce silence bientôt de retour mais qui le trouverait sourd, sourd pour quelques secondes encore durant lesquelles l’oreille meurtrie chercherait en radar aveugle un pépiement, un rien, le premier signe d’une nature retrouvée, le chant naissant d’une rousserolle ou le « trak, trak, karra-kru-kih » de l’oiseau stentor réfugié dans les marécages des rives du Tigre et qui annoncerait une pause dans les bombardements, le possible retour au calme originel de l’éther et du ciel, l’adieu aux « ouizz-ba-dam—dam » des missiles Tomahawk.
Il était trop tôt encore. Le silence qui suit la chute d’un Tomahawk, c’est encore du Tomahawk, la partition ne serait réputée jouée qu’aux premiers pépiements audibles montés du rideau fluvial de papyrus. Bien plus que l’œil, c’est l’ouïe qui détecte le danger, ce qui lui confère une coloration imprécise, plus menaçante. Mais il était trop tôt pour le silence. Déjà, quatre nouveaux traits rouges montaient aux cieux par-dessus l’horizon du désert d’Anbar, striaient de rose et sang ces restes de nuit poussés par l’aube et ouvraient une serre menaçante au zénith de Bagdad. En une apnée vertigineuse, l’aigle de cette guerre abattit à nouveau sa patte sur les immeubles de la rive occidentale. Le cœur de l’homme s’arrêta de battre, le sang s’immobilisa jusqu’à ce qu’une palette de feu, une aurore de mort et de fumées brûlantes envahisse le ciel, obstrue l’horizon à sa fenêtre, irradie de son grésil de cendres une partie même de l’espace de cette chambre.

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Chicoutimi n’est plus si loin – Françoise Pirart

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Dans la nuit, deux adolescents s’enfuient du domicile familial et prennent l’avion à l’aube. Destination le Canada. Ils n’emmènent aucun bagage, mais une importante somme d’argent.
Sylvain et Érik errent, se cachent, font des rencontres, s’affrontent, découvrent l’amour, souffrent. Liés par un secret inavouable, poursuivis par le passé, ils n’ont qu’un seul but : Chicoutimi. Un itinéraire chaotique qui les mènera à travers le Québec, dans les forêts des Laurentides.
Un ancien détective opiniâtre, Red Barton, croise leur route. Troublé par la ressemblance frappante entre son fils disparu des années plus tôt et Sylvain, il se lance dans une traque insensée.
Les deux frères parviendront-ils à gagner Chicoutimi et la liberté, comme leur grand-père jadis, un soir de septembre, alors que les érables du Saguenay se teintaient du rouge sang de l’automne ?
Ce road movie poignant nous entraîne sur les traces de jeunes paumés attachants, qui ont commis un acte irréparable.
En librairie le 19 septembre

Les premières lignes
Les yeux à demi fermés, le buste appuyé au dossier incliné, l’homme somnolait. Le cendrier rempli de mégots dégageait une odeur puissante. Sur le siège passager du break – une Ford grise –, un sac en papier laissait voir le goulot d’une bouteille de bière. Une carte routière défraîchie montrait le Sud du Québec.
Il cligna des paupières. Deux motards venaient de se ranger sur le bas-côté. Avec la force de l’habitude, il retrouvait ses vieux réflexes : ne pas bouger, observer, rester silencieux. L’attente lui était si familière.
Enfin, les moteurs des grosses cylindrées éclatèrent de nouveau. L’homme replongea dans la somnolence. L’idée de reprendre la route le rebutait. Ou plutôt l’objectif de son voyage. La visite bisannuelle à sa sœur était devenue une corvée. Depuis son veuvage, Barbara – de dix ans son aînée – était encore plus insupportable qu’avant, avec ses plaintes continuelles, ses larmoiements de vieille emmerdeuse et ses cancans de pipelette. Et s’il faisait semblant d’être sourd ?
L’homme, vêtu d’un jean et d’une chemise grise, ôta sa casquette bleu marine marquée des initiales métalliques R.B. et frotta son crâne chauve. Dans quelques heures, il serait chez Barbara, près de Shawinigan. Red Barton avait horreur de cette ville.

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Victoria Libourne – Françoise Houdart

493blog

En acceptant de s’asseoir sur ce banc à la berge du Vieux Canal, à côté d’un homme étrange qui prétend s’appeler Moïse, Clémence a-t-elle bien conscience qu’elle se laisse insensiblement dériver dans les eaux troubles d’un passé dont il va lui léguer l’héritage ?
Victoria Libourne, le seizième roman de Françoise Houdart, pose, de façon symbolique, la question essentielle de la trahison et du pardon, et prospecte, à la façon d’une enquête policière, les zones aléatoires au confluent du rêve éveillé et de la réalité, ces espaces hors du temps où s’interpénètrent les rumeurs de la lointaine Garonne, les images scintillantes d’un jardin sous la neige, le chant d’adieu d’improbables grenouilles et les méprises de l’amour.
En librairie le 19 septembre

Les premières lignes
Ça se passe dans le rêve. Dans le flou du rêve. Quelque chose se passe, à peine perceptible. Quelque chose… Un dérangement du silence. Infime. L’intuition d’un son primal. Mais cela s’obstine ; cela prend force, s’enhardit. Devient rumeur. Du fond du rêve, soudain, déboule l’oued d’un cri. Une femme est là. Une forme, une femme. Elle est dans le rêve, immobile, comme pétrifiée. Statue de sel. Entre elle et le cri, l’intraversable espace. Elle connaît ce cri : c’est celui de l’enfant. Le sien. C’est le cri échappé de son ventre. Le cri qui tranche. Sépare à jamais. Condamne à la peur à perpétuité ; la peur, l’amour. Rien ne la protège. Le cri la percute en plein cœur.
L’enfant pleure.
Dans la chambre où il se réveille, au creux de son petit lit-cage tapissé d’autocollants de superhéros et d’étoiles phosphorescentes, l’enfant pleure. Le tumulte des larmes traverse les murs, suit les secrètes voies enténébrées jusqu’à toucher le visage de la mère encore endormie, les bras noués autour du corps docile de l’édredon ; jusqu’à pénétrer par l’imperceptible fêlure dans le sanctuaire du rêve, là où se perdent les mots dérisoires de la consolation. Elle s’agite dans son sommeil, replie bras et jambes contre son ventre, remonte le drap pour y enfouir la tête.

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À l’abri des regards – Anne-Frédérique Rochat

491blog

Mardi 5 janvier. Les fêtes de fin d’année sont passées. Anaïs, mère de deux petites filles, est épuisée, elle ne parvient plus à faire semblant, à s’arranger pour faire croire aux autres, ainsi qu’à elle-même, que tout va bien, que sa vie lui convient. Elle décide de quitter son foyer pour quelque temps, afin de prendre un peu de recul, et se ressourcer. Quand on se perd, on devient égoïste, on ne pense plus qu’à soi, à sa survie : se retrouver, se retrouver en vie. Elle loue une chambre aux murs rouges chez Basile, un sexagénaire passionné par la taxidermie ; au fil des jours, des liens très forts vont se nouer entre eux.
Neuf mois dans l’intimité d’êtres bousculés par la vie
Quatre voix pour raconter une existence blessée
La petite musique d’Anne-Frédérique Rochat
En librairie le 22 août

Les premières lignes
J’ai trente-six ans aujourd’hui. C’est mon anniversaire. Mon anniversaire, comme on dit.
Dans la rue, quelques sapins décharnés me regardent passer. Pour eux, la fête est terminée. Et pour moi ?
Une odeur de pluie et de goudron mouillé me serre le cœur. Une nausée. Peut-être pas ça. Pas le temps. Rien à voir avec le temps. Évidemment.
Mardi cinq janvier.
Je regarde ma montre : sept heures trente du matin.
Je ne suis pas encore née. Ma mère n’est pas encore décédée. Mon père a toujours l’espoir que l’heureux événement vienne au monde sans encombre. Le drame, c’est pour après.
Dans deux heures et quarante-cinq minutes. Je nais, je respire, je crie, je vis : elle disparaît.
En attendant, je nage dans les eaux calmes du Léthé, elle pousse, elle hurle, ses entrailles se déchirent, je cherche l’entrée, ou est-ce la sortie ?
J’arrange mon écharpe autour de mon cou, un vent froid et pervers s’immisce sous mes vêtements. Je fourre mes mains gantées dans mes poches, j’accélère la cadence.
J’ai rendez-vous dans une demi-heure au dix-huit rue des Cyprès, cinquième étage, à droite en sortant de l’ascenseur.
Pourvu que ça marche, pourvu que ça marche.

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Mon lapin – Mathilde Alet

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Ma ville natale, c’est l’appartement de Papy Louis.
Rien n’a vraiment changé, dans la ville d’enfance de Gabrielle. Ni les balançoires violettes du Jardin des Plantes ni le parfum Chèvrefeuille de sa mère ni les questions qu’elle n’ose poser qu’à sa grande sœur Clara. Un soleil tapageur à la sortie de la messe, un rassemblement autour d’un buffet campagnard, un enterrement est une fête de famille comme les autres. On cause peu et on ne s’enlace pas. Gabrielle préfère parler dans sa tête. Là, la route vers le cimetière ressemble à un départ en vacances, et l’ancien employé de son grand-père, à James Dean. Là, surgissent des moments de vie passée aux airs de rien : un Noël, un croche-pied, un repas à la pizzeria, une photographie en noir et blanc, comme s’ils avaient quelque chose d’important à raconter ensemble ce jour-là.
Rien n’a vraiment changé, sauf qu’aujourd’hui on enterre Papy Louis. Et un enterrement, c’est un jour idéal pour apprendre à crier. Ou pour tomber amoureuse.
En librairie le 22 août

Les premières lignes
J’attendais une cathédrale. Le taxi me dépose devant une petite église coincée entre deux blocs de maisons. La façade bétonnée des années soixante a été repeinte pour s’harmoniser avec les briques du quartier. Ce rose pastel évoque plutôt les dragées des mariages. Les photos de sortie d’église, convives endimanchés et mariés blancs sur fond rose, se confondent avec celles de l’arrivée de la pièce montée. Je pense au discours de Quatre mariages et un enterrement. Accroupie devant la télé, j’avais retranscrit le texte, le doigt appuyé sur la télécommande du magnétoscope à chaque fin de phrase. « Nouez des voiles noirs aux colonnes des édifices. » Je comprends mal que l’on prépare un enterrement derrière la façade colorée d’un jour de fête.
Je grimpe les marches et entre par la porte latérale avec la discrétion exagérée des retardataires. La cérémonie a déjà commencé. Seuls les premiers rangs sont occupés. Tout le monde est là, pourtant, je le vois d’un regard. Au premier rang, à gauche de l’allée centrale, Olympe, Michel et Victoire, à droite, Clara. Derrière eux, les visages vieillis d’hommes et de femmes parfois croisés pendant mon enfance. Je reconnais ma grand-tante et son mari. J’aperçois la marraine d’Olympe et ses deux fils. À la sixième et dernière rangée occupée, je croise le regard de Marc, le garçon des promenades et des lectures. Derrière lui, une longue enfilade de bancs vides. J’ai envie d’en vouloir à des absents.

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