Le début
Tout commençait moyennement. Il était affecté à titre provisoire, une année scolaire tout de même, à un poste de remplaçant ZIL rattaché à une école élémentaire de banlieue pour y effectuer cent pour cent de service. L’école Charles-Péguy, sorte de parallélépipède rectangle bleu (volume = base x hauteur) qui possédait onze classes dont quatre cours moyens – mais il subodorait que les onze classes le fussent toutes, moyennes – s’enorgueillissait d’avoir une BCD, bibliothèque centre de documentation, et cinq ordinateurs poussiéreux pour lutter contre l’échec scolaire par la différenciation pédagogique appliquée aux nouvelles technologies. Le directeur – c’était le portrait craché de Fernandel – n’avait plus que trois années à faire (bientôt la quille, disait-il).
Il était donc zilien et mesurait un mètre soixante-quinze, une taille moyenne.
Le jour de la rentrée, le zilien se présenta à huit heures vingt-cinq à l’école Péguy, plus tôt l’eût obligé à écourter sa douche (il avait ses habitudes). Le directeur le mena au bout d’un couloir sombre, jusqu’à la salle des maîtres, et le présenta à l’ensemble de l’équipe enseignante. On échangea des poignées de main, le zilien essaya mollement de mémoriser les prénoms des collègues et finit par y renoncer. Le zilien n’aimait pas trop s’encombrer l’esprit. À huit heures et demie, une sonnerie retentit. Tout ce petit monde s’ébroua et s’éloigna en caquetant pour rejoindre les élèves dans la cour. Le zilien demeura seul, immobile dans la salle des maîtres. Au mur, des affiches pour les droits de l’enfant, la culture de l’enfant. Quelques dessins aux crayons de couleur réalisés, le zilien n’en doutait pas, par des aveugles ou des handicapés moteurs. Ça puait le café.
Le zilien resta bien une heure, seul, assis entre la thermo-copieuse, une machine fort lunatique comme il l’apprendrait plus tard, et un gros carton rempli de ballons en plastique de toutes les couleurs sauf le noir, le zilien s’en assura négligemment. Le directeur vint le trouver un petit peu avant la récréation, lui affirmant qu’il n’avait pas trop de temps à lui consacrer, tâcha de lui expliquer en quoi consistait la fonction de titulaire remplaçant zilien. Il suffisait de venir ici, à l’école de rattachement, et d’attendre un éventuel coup de fil de l’inspection qui l’enverrait sur un remplacement dans un autre établissement. ZIL étant l’abréviation, croyait-il se souvenir, de Zone d’Intervention Limitée. Le zilien se demanda, un temps, si la limitation portait sur la zone ou sur l’intervention. Le directeur fila en coup de vent, le laissant sur cette interrogation, alors le zilien, de lui-même, comme un grand, opta pour la deuxième solution.
La cantine, pardon le restaurant scolaire, le directeur avait suffisamment insisté pour qu’on l’appelât dorénavant ainsi, se situait dans un préfabriqué jouxtant le bâtiment principal. Une salle immense, des tables ovales par dizaines, huit couverts et un broc orange sur chacune d’elles. Le zilien s’y rendit un peu avant la venue des élèves. Une femme occupée à couper du pain, vêtue d’une blouse bleue et d’un minuscule chapeau en papier (de la même couleur, était-ce bien raisonnable ?) lui indiqua d’un mouvement du menton une petite salle à part réservée aux enseignants.
Jambon-endives avec, pour coup de grâce, deux petits suisses.
Malgré le brouhaha des enfants dans la salle voisine, le zilien essaya de faire bonne figure durant le repas, et je te verse de l’eau dans le godet du CM2B, un petit oui oui bien sûr, glissé de temps à autre. Une conférence pédagogique sur l’éducation à la citoyenneté à l’école aurait lieu au mois de novembre, l’inspectrice viendrait voir la débutante du CPA. L’esquisse d’un sourire aux collègues, et le zilien laissa dériver son regard jusqu’à la fenêtre. Le ciel se couvrait, peut-être un peu de pluie en soirée.
Cette histoire se savoure. La rencontre de ce zilien, véritable rond de cuir de l’enseignement français, est captivante et décapante. Un humour permanent finement distillé. Sourire garanti.