Le début
Pâques était tombé tôt cette année-là, et le temps était beau. Un vrai temps de printemps, d’un printemps précoce et lumineux.
C’était un mardi, en plein milieu des vacances. Il était un peu plus de seize heures. La circulation était rare. À cause des vacances, justement, et aussi parce que ce n’était pas encore l’heure de pointe. La petite voiture rouge roulait vite, trop vite. Elle avait quitté l’autoroute de Namur, emprunté la chaussée de Wavre avant de s’engager sur le boulevard du Souverain. Tous les feux étaient au vert.
Sur le terre-plein central, des joggeurs et des promeneurs se croisaient sous les arbres. Personne n’a prêté attention à cette voiture, personne ne s’est dit qu’elle était trop rapide. À cet endroit, c’était presque normal. La plupart des automobilistes faisaient pareil, sachant qu’il leur faudrait de toute façon ralentir puis s’arrêter au croisement du boulevard du Souverain et de l’avenue de Tervuren. Mais dans la ligne droite, juste avant, la tentation était grande de foncer. Au bout du boulevard, après Val-Duchesse, les automobilistes levaient le pied. Ils connaissaient l’endroit, savaient qu’il était dangereux. Des flèches au sol indiquaient sur quelle bande s’engager, selon la direction choisie. Des motos quelquefois accéléraient au lieu de ralentir, doublaient les véhicules à l’arrêt, bifurquaient vers la gauche ou vers la droite, jouant de leur vitesse. Il y a toujours un moment où toutes les voitures sont en attente aux quatre bras du carrefour. Les motards le savent et profitent de ces quelques secondes de flottement pour poursuivre ou accentuer leur élan.
Il arrive même qu’un cycliste intrépide – ou inconscient – fasse de même, tablant sans doute sur la prudence des automobilistes, sur le temps qu’il leur faut pour repartir après l’arrêt.
Il y a eu un bruit violent, comme une détonation, et un crissement de pneus juste avant, aux dires de certains témoins. Mais d’autres ont prétendu le contraire. Il y avait eu le choc, rien d’autre. Seulement le choc. Fracas d’un véhicule lancé à toute allure qui s’écrase contre un pylône de béton.
Les joggeurs et les passants se sont précipités, et aussi quelques cyclistes. Quelqu’un a appelé les secours.
La voiture ne ressemblait plus à rien. L’avant et l’aile droite complètement enfoncés, la carrosserie réduite à une sorte de compression tordue, le capot plié et à demi béant, le pare-brise explosé. Il y avait deux corps à l’intérieur. Le conducteur et son passager.
Le premier, encore vivant, était couvert de sang, coincé et comme écrasé entre le volant et son siège, dans une position qui n’avait rien d’humain. L’airbag n’avait pas fonctionné. La ceinture de sécurité le maintenait attaché à son dossier, en biais, presque pendu. Son flanc droit semblait très touché. Il avait les yeux clos mais gémissait par moments. Le passager, par contre, était mort. Pas besoin d’être médecin pour s’en apercevoir. La place du mort, pensa l’homme qui le premier avait atteint l’épave. Malgré l’airbag qui, de son côté, s’était ouvert, la violence du choc sur l’aile droite du véhicule l’avait projeté et comme écrasé sur son compagnon. Des morceaux de ferraille lui traversaient littéralement le corps jusqu’à avoir atteint et blessé celui qui conduisait.
L’homme eut un haut-le-cœur et, délibérément, reporta toute son attention sur le conducteur dont s’échappait un gémissement irrégulier qui lui parut s’affaiblir.
– Ce n’est rien. N’ayez pas peur, on va vous tirer de là. L’ambulance arrive. N’ayez pas peur.
Le blessé ouvrit les yeux, sembla le regarder. L’homme tenta de lui sourire, répéta la même phrase.
– Ce n’est rien. N’ayez pas peur.
Il continua de lui parler jusqu’à l’arrivée des secours. Le blessé s’était tu. Médecin, ambulanciers s’activèrent. Il fallut découper la carrosserie et la portière pour le désincarcérer.
Des policiers prirent l’identité des témoins et notèrent leurs premières dépositions. Elles étaient contradictoires. Certains parlaient d’un motard que l’automobiliste avait tenté d’éviter. D’autres n’avaient rien vu de pareil, ni rien entendu d’autre que le fracas du choc.
L’ambulance finalement démarra et s’éloigna dans le hurlement de ses sirènes.
L’on s’occupa enfin du mort. Des badauds regardaient la scène, la commentaient.
– Vous avez vu ? C’est un gamin
– Mon Dieu, c’est terrible. Si jeune… Et ses parents, vous imaginez ?
L’homme qui avait parlé au blessé, assis sur le sol, se mit à pleurer.
Lignes de fuite – Liliane Schraûwen
Laisser un commentaire
Pages : 1 2