Un autre jour, demain – Abigail Seran

Le début
Jusqu’à se brûler la peau. Laisser l’eau. Sur la nuque, bouillante. La vapeur qui efface le reflet pour se sentir moins moche dans le miroir. Le shampoing dans les yeux. Oublier. Les autres, le monde, les contraintes, soi. Vouloir disparaître dans le siphon aux eaux sales. Peau de Sioux sous le jet agressif. Monter la température parce que le derme s’est habitué. Refuser d’arrêter. Saisir le pommeau. Passer à l’eau glacée. Ces petites entailles sur les jambes, le ventre, la poitrine, qui coupent le souffle. Et dans un geste de rage, arrêter la torture.
S’emmitoufler dans une serviette. Une silhouette trop dodue qu’on ira couvrir bien vite. Éviter le miroir tant que la transformation n’est pas achevée. Un matin comme un autre, entre abandon et espoir. Ils sont partis rejoindre leurs projets, amis, jobs et occupations. L’ordinateur attend. Porte sur le monde, monde impossible à rejoindre. Le bruit des silences électroménagers. Ronflement de machine à laver, sifflement de la bouilloire, train-train du lave-vaisselle. Le chantier d’à côté n’avance pas. Des mois que le premier étage attend le second. Et pourtant, ils tournent, les ouvriers. Ils s’affairent autour de la grue, ils vont et viennent dans le bip du recul de leurs ogres jaunes.
La journée trépassera comme les autres.
Vers seize heures, on se fabriquera une allure. Un sourire. On regonflera les coussins, on rangera les six tasses vides d’un thé, d’un café non partagé. Regarder l’heure. Les nouvelles du monde, les contraintes, les nuages qui s’arrêtent, repartent, dévoilent un rayon, repris très vite par la pluie.
Une journée comme une autre.
Si je sortais maintenant. Je prendrais des pas, des bus, des avions. Je retrouverais ma vie qui est ici, peut-être là. Je prends un biscuit. Debout contre l’armoire. Ils sont moins caloriques ainsi mangés en cachette de soi-même. Je me glisserai dans un lit qui n’est pas le mien. J’attendrai en regrettant une journée de perdue. Je travaillerai, mieux, encore et dans un sourire téléphonique, je laisserai les larmes filer. C’est presque le printemps. Presque parce que le vent. Presque parce que le froid. Presque parce que les bourgeons. Comme moi, presque. Presque heureuse, presque triste. Honteuse de cette apathie dans un bonheur sans faille.
Le rapport est rendu, la liste cochée. Nous irons à la mer, ils reviendront ce soir. Croire à sa chance d’un terrible espoir.
L’eau coule sur ma nuque, brûlante et drue. C’est une nouvelle journée. Ne pas l’oublier.

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