Georges et les dragons – Jean-Pol Hecq

Le début
Cette histoire est étrange. Il est fort possible que personne n’y accorde du crédit ou même que l’on m’accuse de supercherie ; j’en accepte le risque.
Après avoir longtemps gardé secret ce « dossier » constitué de bric et de broc, je me suis décidé à le dévoiler. Ce n’est ni de la littérature, ni une enquête policière. Tout au plus une échappée dans un défaut de la cuirasse du réel. Que celui qui lira les lignes qui suivent se forge sa propre opinion.
Cependant, pour commencer, je dois donner quelques explications sur la manière dont j’ai découvert cette affaire.
C’était il y a une vingtaine d’années, j’habitais alors un appartement situé dans le centre historique de Mons. Le bâtiment principal était un de ces immeubles typiques du XIXe siècle avec porte cochère et maçonnerie mixte de pierres de taille et de briques. Pour accéder au logement, une fois franchie la porte cochère, il fallait négliger l’escalier monumental et gagner une porte insignifiante ménagée au fond du couloir. Là, un second couloir, long et froid, menait à un escalier de quelques marches en haut duquel s’ouvrait une épaisse porte de chêne. On pénétrait alors dans une grande pièce de séjour, très haute de plafond et ornée d’une étonnante cheminée en bois sculpté. Jusqu’à une hauteur de deux mètres environ, les murs étaient garnis de bas-reliefs en bois représentant des scènes paysannes à la manière des primitifs flamands. Cette pièce dégageait une impression massive de grandeur baroque. Les sculptures suscitaient toujours l’étonnement par leurs conno­tations symboliques évidentes. Quant à la cheminée, elle se composait de linteaux de bois massif supportés par deux satyres cornus aux pieds de bouc. Si on n’y faisait plus de feu depuis longtemps, elle n’en constituait pas moins le point de mire des regards en dominant la pièce de sa grandiloquence éclectique.
Sur tout un côté, de grandes baies vitrées donnaient sur un petit jardin de ville au décor suranné. En son milieu trônait une ancienne fontaine en stuc destinée sans doute à abreuver les oiseaux du voisinage. Deux petits sentiers empierrés l’encerclaient, et tout autour ce n’était qu’un entrelacs de faux arbres, troncs entremêlés et faux feuillages, le tout également en stuc. Le décor, pour passablement en ruine qu’il fût, n’en dégageait pas moins une impression de grandeur fanée et donnait à penser que ce petit bout de fausse nature devait, au temps de sa splendeur, avoir eu fière allure. Une certaine nostalgie finissait immanquablement par y surprendre chacun. Surtout au crépuscule, à l’heure où l’ombre commençait à jouer des tours à l’imagination du flâneur attardé que j’étais souvent alors.
Au début de mon séjour, j’éprouvais parfois une sensation de malaise et je ne m’attardais guère au jardin le soir.
Mais tout au fond, à peine visible sous les ronces, se trouvaient les ruines d’une petite construction qui avait dû être à ce théâtre de verdure figée ce que sont aujourd’hui les cabanons en planches à nos pelouses aseptisées. Elle était encombrée de débris et de matériaux abandonnés, de verre cassé et de poutres mérulées. Il était pour ainsi dire impossible d’y entrer et, du reste, qu’aurait-on été y faire ? C’est pourtant là que j’ai découvert ce qui n’a cessé depuis lors de me hanter.
Enfouie sous des gravats, la cachette avait été conçue avec quelque ingéniosité, et si je n’avais pas entrepris de dégager un mur qui s’était à moitié effondré par une nuit de tempête, il y a fort à parier que je n’aurais jamais rien trouvé. À première vue, ce n’était qu’un petit paquet ficelé dans une toile huilée noirâtre. On aurait d’ailleurs pu passer à côté sans le voir. À l’intérieur se trouvaient un cahier d’écolier couvert de notes, quelques feuillets dactylographiés et trois ou quatre lettres manuscrites. L’humidité et les vers avaient commencé à attaquer le papier, mais tout était encore lisible.
Au lecteur curieux, je livre donc ici l’intégralité du contenu du paquet.

Une réflexion sur « Georges et les dragons – Jean-Pol Hecq »

  1. Yernaux

    Troisième lecture et toujours emporté par cette histoire qui rend la mythologie actuelle. Merci Monsieur HECQ.

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