Les pages rouges – Françoise Lison-Leroy

Le début

Franz Bléhen ferme la porte du bureau. Personne ne le dérangera ce samedi matin. Le journal ne paraît pas le dimanche. Les pages sportives de lundi seront chargées. La une pour les deux nageuses championnes dans leur catégorie, les deux et trois pour la course cycliste des Sept Cités, les autres pour les gymnastes et les colombophiles. Un stagiaire s’occupera demain des cadrées et classements. Le dossier tennis est clôturé.
Un coup d’œil sur les messages électroniques : rien de bien surprenant. Les volleyeuses ont perdu leur match, hier soir, et les gamins de la Royale s’en sont bien tirés. Il faudra récupérer la photo de l’équipe des seniors, encore invaincue. Tous les joueurs sont abonnés à L’Escaut-Matin.
Dans le zoom de Franz Bléhen, il y a des quantités d’hommes et de femmes qui passent leur temps à éplucher les résultats sportifs. Le lundi est un jour faste, la concurrence est rude. Il suffit de voir la file à l’aubette de la gare. Petit matin dans la cohue : on consulte les pages rouges. Photos, légendes, interviews, articles, commentaires. Rien à voir avec le bavardage des baladeurs, avec le silence des ordinateurs portables. On lit.
On a retrouvé les statues volées, dit celle qui vit avec Franz Bléhen. Elle ne feuillette pas les pages sportives. Elle prend du recul avec ce monde singulier, préfère se baigner dans l’actualité des gens qui font les jours et les nuits de la planète Terre. Pas de nouvelles de l’évadée ? Sais pas, répond son homme.
Encore quelques heures, et il sera temps d’assister à la fin du match de basket puis de rejoindre les joggeurs sur le terrain. Le foot, on s’en occupe par ailleurs. Et ce soir Antonine revient. Si ça la tente, on roulera vers Lille.
Entre Franz Bléhen et sa fille circule une épatante lueur. Quelque chose qui tient du sang et de l’âme. Antonine a des soucis ? Son père se débat dans la brume. Elle s’éclate avec des copains ? Il traverse bureau, terrains et chemins d’un pas allègre. Elle oublie de donner des nouvelles ? Il se ronge les ongles. Elle l’appelle « le meilleur des papas » et lui écrit de petits mots au hasard du carnet de travail qui ne le quitte pas.
Celle qui vit avec Franz Bléhen laisse courir le duo qu’elle a savamment mis en place depuis la naissance d’Antonine. C’est comme ça, et tout va bien pour chacun, dans cette maison villageoise sans cesse quittée, frôlée, bousculée au fil des jours. Ici, on vit dans des briques parce que c’est la coutume, on se tient par les yeux, par le cœur. De loin en loin, on se donne des informations sur les urgences de l’une, le départ de l’autre. Tout se passe entre des angles, et on laisse visibles les ficelles qui dessinent les liens.

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