La vie de mes rêves – Alexandre Janvier

Le début
Plus rien ne me retenait ici. Plus rien et surtout plus personne. Ma belle était partie; envolée, cette nymphe qui m’avait envoûté de ses couronnes exotiques. Elle était apparue comme une illusion, comme un hologramme, comme une vision de paradis. Aussi brusquement, elle s’était évaporée. Seul son parfum qui avait servi à m’enivrer inondait encore notre cabane aux amours. Je me réveillai avec un coup de barre au milieu du front, comme si les canons de Navarone s’étaient empressés de tonner au plus haut. Entre la migraine perpétuelle et le sentiment désagréable du lendemain. Agrippé au lit, je fus pris de visions. La pièce rapetissait puis s’allongeait dans la même seconde. La fièvre sans doute. La sueur de mon réchauffement corporel dégoulinait tel un iceberg perdant les eaux.
Elle était partie, mais elle m’avait jeté un dernier sortilège. Son venin gagnait progressivement mes artères. Je ne pouvais plus esquisser le moindre mouvement alors que mon cerveau ordonnait l’agitation. Que faire? Me laisser bercer par ce poison aux mille hallucinations ou me débattre ? N’ayant guère le choix, je me laissai flotter. Mon être ainsi que mon âme s’enfoncèrent dans les méandres de ce lit à baldaquin brodé de fleurs de jasmin. Cette sensation d’apesanteur, nous la connaissons tous un jour, mais aucun de nous n’en a vraiment le souvenir. La gestation dans le placenta est, sans nul doute, la période la plus jouissive de l’expérience d’une vie. Or, j’avais le sentiment de la revivre une seconde fois…
Telle Alice, je me retrouvai dans un monde au décor et aux objets surréalistes, à mi-chemin entre le pays des Toons de Roger Rabbit et l’univers enchanteur du magicien d’Oz de Victor Flemming. Prisonnier de ce dédale d’illusions, moi, le plus réaliste des plus réalistes, je plongeai impuissant dans un monde de féeries. Cette cascade d’imagination s’abattait sur mes épaules et m’emportait dans ses flots sans que je puisse esquisser le moindre geste. Mais le voulais-je vraiment? Telle était la question. Toute ma vie durant, je m’étais figuré que les choses irrationnelles étaient inconcevables. Je n’avais jamais laissé errer mon esprit que dans mes lectures ou mes visionnages incessants de films et de dessins animés. On (car je ne pouvais toujours pas définir la main qui tirait les fils de la marionnette que j’étais devenu) m’offrait l’opportunité d’entrer enfin en communion avec tout ce que j’avais toujours renié. L’attraction était trop forte…
Certains moments de notre vie nous placent devant des choix, dont souvent (par définition même du mot «choix») les deux termes s’opposent. Le cheval noir tire dans une direction, le cheval blanc dans l’autre. Le petit diablotin nous vante les mérites d’une vie luxuriante, mais sertie de tricheries, tandis que l’angelot nous rappelle le droit chemin à suivre, certes moins enivrant, mais au moins dans le respect des règles. Là, je ne me posai pas trente-six questions. Au diable l’angelot! Je fonçai vers l’interdit sans détours. Pour la première fois de mon existence, je ne calculais plus ; je ne réfrénais plus mon élan d’enthousiasme. Pour la première fois, je me sentais libre, sans chaînes qui me tailladaient les veines pour m’empêcher d’agir selon mon propre vouloir. Je retrouvais la véhémence de mon enfance, lorsque je ne me souciais pas du lendemain ou des conséquences de mes mouvements de la veille. Seul comptait, à présent, le présent. Mon amusement perpétuel était le seul dessein de ma journée. Et encore, cette notion de «journée» n’avait plus de sens tant je semblais au-dessus de l’ordre naturel des choses. D’ailleurs, il n’y avait plus d’ordre aucun. Je ne me caractérisais plus par un seul et unique genre. J’étais femme et homme en même temps, enfant et vieille dame sans préférence, adolescente ou père de famille sans jalousie. Je jouissais des diverses allégresses simultanément. Peu m’importaient leur origine ou leur destination. Je me délectais de tous les plaisirs sans rien me refuser. En deux mots, et pour la première fois: je vivais.

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