Le hasard a tout prévu – Kyra Dupont Troubetzkoy

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Ces huit récits de docufiction, alimentés par des témoi­gnages recueillis directement ou indirectement par l’auteur, racontent huit destins hors du commun. Huit personnages qui se débattent tous entre fatalité et libre-arbitre, mais finissent par recoller les morceaux d’un destin brisé avec ce que leur a donné la vie – la chance, l’inné, le courage, l’intelligence.
Dans leur quête de sens, ils nous font voyager dans le Cambodge de Pol Pot, la Roumanie de Ceauşescu, le Birobidjan de Staline, une Corée coupée en deux depuis 1952, l’Espagne de Franco, la France de De Gaulle, le Danemark, les États-Unis et la Suisse.
Réflexion sur la résilience et le libre-arbitre, ces récits, dont le fil rouge est la filiation, sont autant d’étoiles qui irradient quand la lune a déserté nos nuits.
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Les premières lignes
Devant lui, la voie. Juché sur le toit du premier wagon, Sorithy laisse son regard errer le long des rizières, les yeux noyés dans le vert anis des pousses tendres. Plus tard, il mangera si l’occasion se présente. Un bol de riz, en tout cas. Pour l’heure, le petit garçon joue les capitaines. C’est un beau matin de décembre, un de ces matins cristallins de la saison sèche. Du haut de ses dix ans, il lui semble que rien ni personne ne décide à sa place. Il est seul maître à bord. C’est son train. Une locomotive Pacific française à vapeur, un modèle inauguré par le roi Sihanouk en 1969. Aujourd’hui, elle ne dépasse plus les vingt kilomètres à l’heure mais cela suffit à l’exalter. Le vent qui lui fouette le visage aplatit ses cheveux pourtant courts, siffle dans ses oreilles et s’engouffre dans ses narines, dans sa bouche et la rend sèche, donne du souffle à son cœur. Le carburant dont il a besoin pour nourrir tout l’aplomb qu’il affiche. Il voudrait se tenir debout, plus libre encore, comme les palmiers à sucre qui rythment la course de son engin, droits et souples à la fois face aux éléments, encore ébouriffés des intempéries des mois précédents, battus par les pluies torrentielles, jaunis de soleil, mais debout. Certains sont plantés court, profond dans le sol. D’autres poussent naturellement longs, comme des réverbères sans lumière, sentinelles et garde-fous d’un passé houleux hantant encore l’horizon des rizières, penchant inlassablement leurs palmes vers le soleil pour en sucrer leur sève. Comme eux, Sorithy tend ses bras fins et cuivrés vers le haut, pour sentir plus intensément encore la moiteur de l’air glisser entre ses doigts, chatouiller ses paumes. Il n’a que dix ans mais il a choisi d’être ici, au sommet du train, au faîte de son royaume, échappant à la surveillance du soldat vietnamien, en bas, en charge de la sécurité du convoi.

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