Le premier chapitre
Et voilà. Je m’appelle Martha et, comme toutes les grandes choses qui font notre vie, ou presque, ce que j’ai à dire est très simple: j’ai trente-cinq ans, j’exerce un métier, j’élève Constantin et Valentine, mes enfants, et j’ai la chance de vivre avec l’homme que j’aime, François. Un jour, c’était un dimanche, nous nous sommes retrouvés en tête-à-tête, François et moi, et nous avons décidé d’acheter une maison. Nous en avions déjà parlé plusieurs fois, bien sûr. Mais toujours au futur simple: un jour…, un jour viendra où nous achèterons une maison. Ce n’est pas que nous sommes casaniers. Nous avions déjà déménagé trois fois. Mais ce jour-là, tout à coup, nous avons abandonné le futur simple pour le futur proche: cette année, nous allons acheter une maison. Cela dit, était-ce vraiment une décision? Est-ce vraiment une décision de mettre bout à bout ces mots-là, quand on a trente-cinq ans, un métier, des enfants? Vraiment une décision quand les amis, les collègues se sont engagés sur la même voie, lorsqu’on est à peu près certain que ceux qui n’y ont pas encore songé y penseront bientôt? La question se pose: décide-t-on vraiment? Et qui décide? Peut-être la décision d’acheter une maison vient-elle à nous comme la mer sur la plage à l’heure des marées hautes. L’eau nous caresse les orteils, puis, un jour, sans prévenir, elle recouvre nos pieds tout entiers.
Ce dimanche-là, nous nous sommes laissé mouiller les pieds pour la première fois et cela nous a beaucoup excités. Nous avons sorti deux bières du réfrigérateur et nous avons discuté tant et plus. Les mots nous chatouillaient le cœur, les phrases nous pinçaient le ventre, ça faisait des petits friselis d’écume sur nos lèvres et sur nos verres, si bien que nous avons passé une après-midi délicieuse à jouer avec les projets et les envies qui montaient comme des vagues à l’assaut du divan où nous flânions. Lui, François, mon homme, mon amour, il réfléchissait, il discutait, et s’il ne l’avait oubliée sur son chantier, il aurait sorti la calculette de son cartable. Moi, je rêvais, j’imaginais, je me serais bien précipitée sur le premier kiosque venu pour acheter Marie-Claire Décoration. Nous gisions comme deux bélugas sur le canapé. Tranquilles, lisses et luisants, gonflés de rêves et de souvenirs, juste un peu de bave qui s’échappait de temps à autre : des mots, des soupirs, des sourires, mais la maison qui nous habitait, elle, restait cachée comme Jonas dans le ventre de la baleine. Bien dissimulée, à moitié ignorée. Il serait toujours temps de s’en occuper. Et c’est comme cela, calmement, que nous nous sommes mis d’accord. Ça a été très simple en somme de décider!
Un bijou. Assurément une de mes meilleures lectures de l’année.
A conseiller sans modération.
Apolline Elter
Voici un livre alerte et sagace, qui prend la réalité à la racine. Quand, vers la fin, une symphonie de voix se fait entendre, toute la sensibilité d’une génération affleure, et ces récits trouvent leur unité romanesque. A lire pour le pur bonheur d’un style rare et ferme. A offrir, en priorité, à tous vos amis qui cherchent une maison ou qui pendent la crémaillère